Le Colloque international [Retour] du Sujet et du Sens en Didactique des langues étrangères propose de confronter recherches et expériences concernant la situation (présente et à venir) de la didactique des langues et des cultures à partir des deux fondements de toute démarche pédagogique : le sujet, aussi bien la personne de l’enseignant·e que celle de l’élève, mais aussi la personne étrangère avec laquelle on souhaite interagir, et le sens que ces sujets donnent à leur projet comme à leur collaboration au sein d’une classe.
Le sujet, malgré l’importance que certaines perspectives socioconstructivistes et communicatives ont voulu lui rendre, et le sens semblent en effet faire les frais d’une didactique de plus en plus planifiée et instrumentalisée, asservie à des contraintes et à des finalités externes. Ainsi la question se pose de manière critique : pour quoi/pourquoi et pour qui enseigner et apprendre les langues et les cultures étrangères aujourd’hui ?
Ce colloque cherchera à approfondir et à densifier la réflexion sur la place du sujet et du sens en didactique des langues, tant sur le plan épistémologique que méthodologique. Les contributions fondées sur l’expérience (d’enseignement et/ou de recherche) sont les bienvenues.
Cette manifestation est coorganisée par les Services de didactiques du français langue étrangère et des langues modernes, l’Unité de recherche en Didactique et Formation des Enseignants (DIDACTIfen), l’Institut Supérieur des Langues Vivantes de l’Université de Liège, en partenariat avec le Collectif CLÉ (Continuité des apprentissages en Lecture et en Écriture) de l’Université de Sherbrooke.
Au cours des cinquante dernières années, la didactique des langues étrangères a été profondément marquée par le développement de la linguistique pragmatique, de la psychologie cognitive ou encore de la pédagogie comportementale. Les traces de ces influences, tant théoriques, épistémologiques que méthodologiques, sont nombreuses : la prédominance de l’action et du comportement pour penser l’enseignement et l’apprentissage d’« actes » de langage ou encore de « tâches », la standardisation et la généralisation des échelles d’évaluation, l’instrumentalisation et la normalisation des enseignements et des apprentissages, la revalorisation des interactions ordinaires, la centration sur l’apprenant, pour ne citer que ces quelques exemples. Si les langues étrangères étaient naguère enseignées prioritairement avec le souci de donner une éducation humaniste et une formation intellectuelle aux élèves, leur enseignement sert maintenant de tout autres objectifs : d’abord communicatifs, mais aussi sociopolitiques, professionnels et économiques dans un monde globalisé. La didactique des langues a par ailleurs ainsi mis la communication et l’apprenant au centre de ses préoccupations, dès le début de l’apprentissage. Mais on peut cependant s’interroger aussi sur les excès de cette évolution. Les méthodes d’enseignement et d’apprentissage des langues et leurs objectifs sont devenus de plus en plus instrumentaux, comme si la langue ne valait que par les services pratiques qu’elle peut rendre à (plus ou moins) court terme – plus à la société qu’à l’individu, en fait – pour résoudre des (situations) problèmes et réaliser des projets concrets. Même la dimension culturelle est envisagée comme condition ou complément à une communication efficace. Les signifiés et concepts que la didactique a empruntés au discours managérial sont significatifs : objectif, stratégie, production, compétence, performance, excellence, mobilisation, innovation, évaluation, ingénierie, technologie, contrôle de qualité, gestion (de l’attention, du groupe, du temps, de l’espace, des ressources, etc.). Une terminologie que les didacticien·nes et enseignant·es doivent s’approprier, au risque de ne plus parler la langue dominante.
S’est alors créé un singulier paradoxe : alors que le plurilinguisme individuel et l’interculturalité sont vivement plébiscités par la recherche, le politique, le monde de l’entreprise et les médias, les personnes directement concernées s’en trouvent au contraire dévalorisées. Ainsi, par exemple, les personnes migrantes sont désormais assimilées à des « profils » inventoriés et contrôlés (sous « Contrat d’Intégration Républicaine » en France), et leur formation à un « parcours » linéaire et balisé (« Parcours d’intégration » en Belgique francophone), tandis que les responsabilités des enseignant·es se limitent de plus en plus à tenir des postures et des méthodologies d’enseignement prescrites, à suivre des programmes obligés et à atteindre des objectifs posés comme indiscutables : « « un certain idéal-type de la profession enseignante pensée comme une culture professionnelle hautement technicisée » (Vigner, 2012 : 80) », où l’enseignant mesure et quantifie les progrès, sans plus discuter le sens et les valeurs de ces orientations didactiques et pédagogiques. » (Debono, Lebreton & Mercier, 2021). Un autre paradoxe étant que l’enseignement et la recherche universitaires, où l’on devrait justement défendre et promouvoir la diversité linguistique et culturelle, et l’enrichissement des approches qu’elle permet, se laissent au contraire entrainer comme tant d’autres secteurs d’activités par la standardisation et l’uniformisation, au nom de l’internationale scientifique. Deux événements historiques récents viennent particulièrement mettre en lumière les constats posés précédemment, et nous invitent à revoir les principes idéologiques sur lesquels repose la didactique des langues et des cultures étrangères depuis ces cinquante dernières années. Le confinement provoqué par la crise de la COVID a, d’une part, mis en avant le caractère essentiel de la relation et de la proximité interpersonnelles pour l’enseignement, en particulier celui des langues et des cultures. Et d’autre part, la terrible actualité politique, économique et écologique internationale nous invite, en tant qu’enseignant·es et chercheur·ses, à interroger les promesses de progrès, de paix et de convivialité universels que devait apporter cette globalisation à laquelle un enseignement communicatif et interculturel des langues « utiles » devait à tout prix et à toute allure préparer les jeunes citoyens et citoyennes du monde. À la lumière de ces différents constats, ce colloque propose de confronter recherches et expériences concernant la situation (présente et à venir) de la didactique des langues et des cultures à partir des deux fondements de toute démarche pédagogique : le sujet, aussi bien la personne de l’enseignant·e que celle de l’élève, mais aussi la personne étrangère avec laquelle on souhaite interagir, et le sens que ces sujets donnent à leur projet comme à leur collaboration au sein d’une classe. Le sujet, malgré l’importance que certaines perspectives socioconstructivistes et communicatives ont voulu lui rendre, et le sens semblent en effet faire les frais d’une didactique de plus en plus planifiée et instrumentalisée, asservie à des contraintes et à des finalités externes. En 1999, Patrick Anderson constatait que « Le sujet que la didactique des langues convoque est écartelé entre les principes déterministes qui l’actualisent et le cadre de la psychologie béhavioriste pour lequel il est impossible à concevoir. Il se trouve donc à la croisée de visées antagonistes qui dans un même mouvement se proposent de le faire naître mais finalement le font disparaître » (p.239). Qu’en est-il vingt ans plus tard ? Avec quels enjeux épistémologiques et quelles implications éthiques ? Ainsi la question se pose de manière critique : pour quoi/pourquoi et pour qui enseigner et apprendre les langues et les cultures étrangères aujourd’hui ? On peut aussi se demander si, paradoxalement, la période d’ingénierie et de stratégies communicatives que la didactique des langues vient de connaitre, lors des périodes de confinement successives, n’a pas mis un coup de projecteur sur la vocation humaniste de l’enseignement des langues et des cultures, plus inquiète de l’épanouissement intellectuel, culturel, personnel que de l’employabilité des personnes, et des objectifs imposés par des instances supérieures ou des technocraties anonymes. Envisager la didactique des langues comme un lieu d’éducation humaniste (la Bildung allemande) ramènerait alors la question du sens au centre des préoccupations de la DDL, qui deviendrait un lieu privilégié d’accès et de questionnement sur le sens des expériences en langue étrangère, et plus largement de l’altérité.
Ce colloque sera aussi l’occasion d’interroger le rapport des enseignant·es et de leurs apprenant·es à leur(s) rôles et place(s) respectifs dans la relation pédagogique. Comment s’(e) (ré)approprient-ils·elles l’expérience d’enseignement et d’apprentissage ? Quelle place donnent-ils·elles à leur personnalité, leurs aspirations, leur cheminement, leur vécu ? Les approches biographiques et réflexives ont désormais une place significative dans la formation des enseignant·es de langues et dans les pratiques pédagogiques (voir Huver et Molinié, 2009 ; Molinié, 2004). Reste que la prise en compte de l’histoire des sujets est souvent associée à un processus d’(auto)évaluation standardisée des compétences en langues (même sous des formes à priori très qualitatives, comme l’évaluation par portfolio, par exemple). Ce colloque cherchera à approfondir et à densifier la réflexion sur la place du sujet et du sens en didactique des langues, tant sur le plan épistémologique que méthodologique. Les contributions fondées sur l’expérience (d’enseignement et/ou de recherche) sont les bienvenues.
Les propositions de communication pourront s’inscrire dans un ou plusieurs des thèmes suivants :
Repères bibliographiques :
ANDERSON, P. (1999). La didactique des langues à l’épreuve du sujet. Besançon : Presses universitaires Franc-Comtoises.
CASTELLOTTI, V. (2017). Pour une didactique de l’appropriation : diversité, compréhension, relation. Paris : Didier.
CASTELLOTTI, V., HUVER, E. et LECONTE, F. (2017). Demande institutionnelle et responsabilité des chercheurs: langues, insertions, pluralité des parcours et des perceptions. De Gruyter Mouton. The linguistic integration of adult migrants: some lessons from research / L’intégration linguistique des migrants adultes : les enseignements de la recherche, pp. 425-431.
CHISS, J.-L. (2005). Ré flexions à partir de la notion de tâche : langage, action et didactique des langues. In : MOCHET, M.-A. et al (éd.) Plurilinguisme et apprentissages. Mé langes Daniel Coste. Lyon : ENS Editions, pp. 39-48.
CHISS, J.-L. (2007). Sciences du langage et didactique des langues : une relation privilégié e. Revue japonaise de didactique du franç ais, 2(1), 5-18.
DEBONO, M., LEBRETON E. & MERCIER E. (2021). « Enseignant technicien » vs valeurs/convictions : quelle responsabilité de la didactique des langues ? Recherches en didactique des langues et des cultures, 18-1, URL: http://journals.openedition.org/rdlc/8689
DEBONO, M. (2013). Pragmatique, thé orie des actes de langages et didactique des langues- cultures. Histoire, arriè re-plans philosophiques, consé quences et alternatives. In : CASTELLOTTI, V. (dir.), Le(s) franç ais dans la mondialisation. Fernelmont : Éditions Modulaires Européennes, 423-447.
HUVER, E., LAURENS, V., LEVY, D., MEUNIER D., ZARATE, G. & NOÛS, C. (2021). En quoi les langues ont-elles un rôle à jouer dans les sociétés mondialisées au sein d’une Europe fragilisée ? Recherches en didactique des langues et des cultures, 18-1, URL: http://journals.openedition.org/rdlc/8548
HUVER, E. & MOLINIÉ, M. (2011). Praticiens – chercheurs à l’écoute du sujet plurilingue. Réflexivité et interaction biographique en sociolinguistique et en didactique. Carnets d’Atelier de Sociolinguistique, 4.
MOLINIÉ, M. (2004). Finalités du « biographique » en didactique des langues. Le français aujourd’hui, 147, 87-95.
MOLINIÉ, M. (2015). La méthode biographique : de l’écoute de l’apprenant de langues à l’herméneutique du sujet plurilingue. In : P. Blanchet et P. Chardenet (dir.), Guide pour la recherche en Didactique des langues. Approches contextualisées. AUF-EAC, pp. 144-154.
PUREN, C. (1998). Perspective objet et perspective sujet en didactique des langues-cultures, ÉLA, revue de didactologie des langues-cultures, 109, 9-37.
PIEROZAK, I., DEBONO, M., FEUSSI, V. et HUVER, E. (2018). Fils rouges épistémologiques au service d’une autre intervention. In : I. Pierozak, M. Debono, V. Feussi, E. Huver (éd.). Penser les diversités linguistiques et culturelles. Francophonies, formations à distance, migrances. Lambert Lucas, pp. 9-28.
Types de soumissions
Les propositions de communication, sous forme d’un court résumé (250-300 mots) + bibliographie (jusqu’à 5 références) sont à déposer sur le site du Colloque : https://sujetsens2024.sciencesconf.org/
Communication (20 minutes + 10 minutes de discussion)
Symposium (90 minutes) : texte de cadrage du symposium (500-600 mots)
Calendrier
– 1er octobre 2023 : Date limite de réception des propositions de communication ou de
symposium
– 15 décembre 2023 : Notification aux auteur·rices
– 15 mars 2024 : Clôture des inscriptions
– 18-20 avril 2024 : Colloque
Conférencier·es invité·es
Jean-Louis CHISS, Professeur émérite en sciences du langage et didactique du français à l’Université Paris III
Emmanuelle HUVER, Professeure des universités en sciences du langage (didactique des langues) à l’Université de Tours
Bruno LECLERCQ, Professeur de philosophie analytique et logique à l’Université de Liège.
Thérèse PEREZ-ROUX, Professeure en sciences de l’éducation à l’Université Paul-Valéry Montpellier.
Comité d’organisation
Jean-Marc DEFAYS
Deborah MEUNIER
Germain SIMONS
Valérie COYETTE
Véronique GUEURY
Samia HAMMAMI
Kevin NOIROUX
Audrey RENSON
Frédéric SAENEN
Audrey THONARD
Secrétariat
Alice BONJEAN
Sylvie HENRARD
Comité scientifique
Sandrine AEBY DAGHE, Université de Genève
Nathalie AUGER, Université Paul Valéry Montpellier III
Jean-Claude BEACCO, Université Sorbonne Nouvelle
Michel BERRÉ, Université de Mons
Geneviève BRISSON, Université de Sherbrooke