Le rapport présente un état de l’art des technologies de la traduction, des bonnes pratiques d’usage et des pistes d’action afin d’optimiser les processus de traduction de la production scientifique. Et ainsi favoriser, au sein des sociétés des pays non anglophones, l’accès au savoir issu de la recherche, l’un des principes fondamentaux de la science ouverte.
Début du rapport
Depuis l’intensification de l’activité scientifique dans l’après-guerre et, plus tard, avec l’avènement de l’Internet, l’anglais s’est affirmé mondialement en tant que langue de la communication technique et scientifique. Dès les années 1960, par exemple, la langue française a souffert d’un déficit lexical de milliers de mots supplémentaires chaque année au regard de la progression enregistrée pour l’anglais.
Ce rôle de lingua franca s’est progressivement consolidé dans le milieu académique, à la fois dans la recherche et dans l’enseignement supérieur. À titre d’exemple, 83,7% des 23 millions de documents scientifiques rassemblés dans le cadre de la création de l’archive électronique ISTEX étaient en 2019 en anglais.
Si elle a le mérite de favoriser les échanges dans un contexte scientifique de plus en plus internationalisé, cette hégémonie linguistique est génératrice d’inégalité dans l’accès au système de publication et limite la diffusion des connaissances scientifiques au sein des sociétés des pays non anglophones.
Afin de publier dans les revues à impact élevé et ainsi augmenter la visibilité de leur travail, les chercheurs dans certaines disciplines sont en effet tenus de publier en anglais, ce qui a un impact considérable sur leur carrière ; outre les difficultés de rédaction en langue étrangère, qui limitent la richesse de la pensée et les capacités d’expression de certains concepts, des chercheurs non anglophones considèrent également qu’ils sont pénalisés car certains relecteurs se concentrent davantage sur leur niveau d’anglais que sur la qualité des résultats scientifiques et la logique de l’exposé. Par ailleurs, on constate que les relecteurs peuvent être gênés dans leur évaluation par des modes d’argumentation non anglophones. Ainsi, Lillis et Curry relèvent la remarque d’un relecteur : « Il y a des formulations qui, d’après moi, sont un peu exagérées et trop prétentieuses. (…) Ce n’est peut-être pas la langue, mais c’est juste un peu trop latin pour un Européen du Nord. » Selon une récente étude, la publication en langue étrangère imposée aux chercheurs peut enfin générer des problèmes de rédaction et compréhension en lecture, de l’anxiété, voire des coûts supplémentaires.
L’actuel système à dominante anglophone entraîne également des difficultés pour les chercheurs qui, du fait des usages propres à leurs disciplines, notamment dans les sciences humaines et sociales, ont la possibilité de rédiger leurs publications dans leur langue maternelle. Dans ce cas, le problème est lié à un manque de visibilité des travaux rédigés dans des langues autres que l’anglais, souvent moins bien référencés dans les principaux référentiels disciplinaires internationaux. Une autre étude démontre que le fait de publier dans une langue autre que l’anglais est considéré comme l’indice d’une mauvaise qualité de la recherche et de localisme, une idée largement partagée dans le monde de la recherche.
D’autre part, une culture scientifique majoritairement véhiculée par la langue anglaise ne favorise pas la démocratisation de l’accès au savoir produit par la recherche, l’un des principes fondamentaux de la science ouverte. Dans le cadre de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, qui a fait apparaître le besoin d’une diffusion des connaissances scientifiques et médicales auprès des citoyens, un groupe d’enseignants-chercheurs a écrit que « si la science fait l’objet exclusivement d’une communication en anglais, elle risque de ne pas répondre pleinement à sa troisième mission, celle d’informer les citoyens dans leurs langues maternelles. »
Dans ce contexte, plusieurs initiatives ont vu le jour afin de rappeler l’importance du multilinguisme dans la communication scientifique. Parmi celles-ci, l’Initiative d’Helsinki sur le multilinguisme, point d’ancrage important de la démarche de ce groupe de travail, propose des recommandations à destination des tous les acteurs pouvant promouvoir le changement : décideurs, dirigeants, universités, instituts de recherche, bailleurs de fonds pour la recherche, bibliothèques et chercheurs. Les initiateurs de l’Initiative expliquent qu’il ne s’agit pas « d’une question de nationalisme ou d’aversion à l’égard de la langue anglaise » mais plutôt de « développer un système de publication qui réponde aux besoins des chercheurs et de leur public, et qui valorise la diversité des travaux scientifiques. »
Afin de permettre aux chercheurs de publier dans la langue de leur choix sans pour autant être pénalisés, et de créer un nouveau modèle d’accès, universel et multilingue, à l’information scientifique, la traduction constitue clairement une option possible. Toutefois, aux moins trois défis se posent :
- les universités, les instituts de recherche et les laboratoires manquent souvent de ressources à consacrer à la traduction ;
- il n’est pas toujours facile de trouver des traducteurs experts capables de traduire des textes hautement spécialisés dans des délais raisonnables ;
d’un point de vue global, les contenus de communication scientifique sont d’un volume tel qu’il serait impossible de couvrir les besoins de traduction par les moyens humains professionnels disponibles, experts ou non.