Université de Tours, France
Colloque inter-associations de l’APHELLE, CIRSIL, HSS, SEHL et SIHFLES
Argumentaire
Une réflexion approfondie et argumentée portant sur les questions de transmission et d’appropriation du français (et plus largement des langues) a été développée et, en quelque sorte, théorisée depuis plusieurs siècles. Mais si la recherche en didactique des langues n’est pas née au XXe siècle, c’est seulement après la seconde guerre mondiale qu’elle conquiert peu à peu une légitimation, avec des formes de construction et de reconnaissance institutionnelles.
Prenons ici l’exemple du français1 : s’il est aujourd’hui convenu de dater la véritable institutionnalisation de la recherche didactologique sur le FLE/S au tournant des années 1970-1980, on peut néanmoins remonter à l’immédiat après-guerre, période où la réflexion sur la diffusion du français à l’étranger s’organise, entrainant ainsi des recherches sur des modes d’E/A jugées plus appropriés aux nouvelles réalités sociales et géopolitiques.
Les idées didact(olog)iques en FLE/S, jusqu’à une période très récente, se sont principalement élaborées en France : il serait hypocrite de ne pas le reconnaitre, de ne pas reconnaitre que la « la didactique [du FLE/S] est née de la diffusion » (Coste, 1986 : 26), donc en partant d’un « centre ». Néanmoins les apports étrangers ont été conséquents ; d’une part, les institutions françaises ont bénéficié du concours d’éminents chercheurs étrangers (comme P. Guberina) ; et, d’autre part, les théories ayant vu le jour en France ont bien sûr été reçues, adaptées, réélaborées en fonction de situations très diversifiées, dans de nombreux pays. Il est donc essentiel d’examiner comment ces réceptions et adaptations, en dehors des espaces francophones, ont aussi contribué, à faire évoluer des choix et théories élaborés principalement, au départ, en France. Par ailleurs, la DFLE/S a pu rencontrer dans différents contextes des idées et recherches élaborées pour d’autres langues, parfois selon d’autres dynamiques de structuration disciplinaires (ex. : les recherches en « linguistique appliquée » ou en « éducation » dans le contexte anglophone ; ou plus largement en sciences humaines dans d’autres pays, etc.).
Pour ce qui concerne plus spécifiquement le FLE donc, en France et à l’étranger, c’est d’abord, au cours des années 1950, une perspective de diffusion qui sous tend « une politique de relations culturelles, scientifiques et techniques » (Coste, 1984) et amène la création de certaines institutions (en particulier le CEFE devenu le CREDIF, le CLA, le BELC). Ces dernières, dont les missions initiales de formation d’enseignants et d’élaboration de matériels pédagogiques sont prépondérantes, vont évoluer au cours des années 1960 et 1970 vers une diversification de leurs personnels (incluant de plus en plus d’universitaires) et de leurs activités, de plus en plus tournées aussi vers la recherche. Cela s’accompagne d’un mouvement vers la définition en gestation d’un domaine de réflexion revendiquant une autonomie relative, avec notamment la parution du Dictionnaire de didactique des langues (Galisson & Coste, 1976).
Cette revendication d’autonomie s’accroit au cours des années 1980, qui voient aboutir la création de filières universitaires de FLE en France, de la licence au DEA et DESS et le renforcement de recherches « autonomes » avec l’inscription croissantes de thèses de doctorat. Y augmentent les débats, les colloques, et les publications spécifiques dans des collections et des revues dédiées, comme les Etudes de linguistique appliquée dont le soustitre deviendra, à la fin des années 1980, « Revue de didactologie des langues-cultures ».
C’est aussi au cours des années 1980 que s’intensifient dans les travaux la place de la culture et le développement de « l’interculturel » et que sont créées plusieurs associations regroupant des enseignants et chercheurs de tous pays, comme l’ASDIFLE.
Les années 1990 voient un accroissement du nombre de thèses et l’identification d’axes au sein de laboratoires, puis d’unités de recherche à part entière spécifiquement centrées sur le FLE et / ou la DDL ; c’est aussi au cours de cette période que s’accroit le poids des institutions européennes (en particulier le Conseil de l’Europe) dans les réflexions didactiques et qu’on assiste à une plus grande internationalisation de la recherche/des idées didact(olog)iques en FLE/S. A partir des années 2000, avec en particulier la parution du CECRL, la place de l’Europe se renforce et, avec elle, s’imposent deux thématiques privilégiées qui « occupent » le terrain : le plurilinguisme et la contextualisation ; l’intérêt croissant d’institutions de la francophonie, comme l’AUF, pour les problématiques didactiques contribue aussi à mettre alors davantage l’accent sur des articulations à penser entre sociolinguistique et DDL. Quant aux premières années de la décennie 2010, elles laissent entrevoir des tentatives de retour de la linguistique appliquée, un intérêt grandissant pour le cognitivisme, mais aussi pour la réflexion épistémologique et l’histoire des idées.
On peut constater, tout au long de la période retenue, que la recherche en FLE/S présente certaines constantes (Castellotti, 2019):
– le maintien, malgré les travaux sur la contextualisation, d’une perspective prioritaire de diffusion ;
– une place le plus souvent prédominante de la France et / ou des nombreux chercheur.e.s qui y ont été formés : le mouvement de « décentralisation » ayant porté des fruits relatifs ;
– le choix régulièrement réaffirmé de la primauté de la communication pour l’apprentissage et l’enseignement des langues ;
– une place de choix réservée à l’intervention : la discipline se conçoit comme prioritairement praxéologique.
En fonction de ce tableau brièvement esquissé de quelques lignes de force qui ont contribué à structurer la période considérée, on explorera au cours de ce colloque différents axes prioritaires de réflexion, qui permettront d’approfondir et de confronter les manières dont des chercheur.e.s diversement situé.e.s, en fonction notamment de leurs propres ancrages, tant géographiques que scientifiques, interprètent cette histoire..
Axes
-l’histoire des relations de la recherche didactologique avec les disciplines dites « connexes » (linguistique, littérature, psychologie, anthropologie, sociologie, philosophie, sciences cognitives, etc.) ;
-l’histoire de la circulation des idées didactologiques entre différents pays et aires géographiques, pendant la période considérée
-les grandes polémiques en DDL (ex. : l’utilitarisme, les « langues de base » (basic english, français fondamental), le fonctionnalisme, le béhaviorisme, le SGAV, le plurilinguisme, etc.) ;
-le rapport des chercheurs-didacticiens avec les institutions officielles liées au français, et à la diffusion et à l’enseignement des langues : les ministères de l’éducation/de l’enseignement supérieur, les institutions européennes, celles de la Francophonie, etc. et les rapports / conflits entre politiques de « diffusion » et de « coopération » ;
-l’évolution des conceptions des relations entre langues et cultures chez les chercheurs en DDL (l’émergence de la pensée de l’interculturel, la réflexion sur le fameux trait d’union « langue-culture », etc.) ;
-l’histoire des discussions, en DDL, autour des conceptions de la langue : ces discussions théoriques orientant nécessairement les choix en termes de pratiques didactiques ;
-les courants épistémologiques sous-jacents aux orientations à l’oeuvre et les conceptions de la recherche afférentes (dont les conceptions de l’histoire) : quelles évolutions sur la période considérée ?
-la prise en compte du contexte/des contextes : les origines théoriques, politiques, éthiques de ce mouvement de fond qui prend toute son ampleur à la fin des années 80 ;
-la prise en compte des contacts de langues et de la pluralité/diversité linguistique et culturelle ;
-l’évolution de la place et du rôle de l’intervention du chercheur-didacticien, de l’articulation entre les recherches et les « terrains d’intervention » ; sa responsabilité ; l’adaptation à la demande sociale.