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Ressources et guidage – Définition d’une co-construction

Françoise Demaizière

(Texte paru en 2004 dans la revue Notions en questionsLa notion de ressource à l’heure du numérique. Develotte, C. & Pothier, M. (dir.). École Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines, Lyon. pp. 81-103.

Introduction

1. Des didacticiels d’hier aux ressources d’aujourd’hui

  2. Le guidage : une médiation à (re)définir

  3. Contextes d’apprentissage « numériques » et guidage – Diversité, exemples prototypiques

  4. Quelques distinctions classiques… et pertinentes

  5. Éléments pour un précis du bon usage du guidage

  Conclusion – Construire la co-construction

  Références

Introduction

L’exposé qui suit essaiera de montrer comment guidage et ressources sont intimement liés et se construisent ou se détruisent l’un l’autre. Il existe une infinie diversité de ressources pour l’apprentissage à l’ère du numérique pour peu qu’un guidage adéquat soit mis en place. Par contre, un guidage inadapté peut détruire l’idée même de ressource. Mon texte se voudra donc une défense et illustration de ce principe de co-construction. Je passerai en revue quelques exemples prototypiques des contextes actuels et quelques distinctions classiques et pertinentes pour faire entrevoir la variété des situations et des paramètres à prendre en compte. Il est difficile à ce jour de trouver un corpus stabilisé de résultats et de pratiques permettant de définir les ou des modes de guidage appropriés. On peut toutefois trouver dans divers travaux et dans l’observation de situations s’appuyant sur les TIC ou avant elles l’ordinateur (exercice auquel je me livre depuis maintenant quelques décennies) de quoi ébaucher une forme de précis du bon usage du guidage. Je m’y risquerai dans la dernière partie de cette contribution.

1. Des didacticiels d’hier aux ressources d’aujourd’hui

Un regard au dictionnaire (Le Robert, 1996), nous apprend que le sens premier de « ressource » est « ce qui peut améliorer une situation fâcheuse« , avec cet exemple, culturellement attendu, « Nous autres [femmes] nous n’avons qu’une ressource, c’est de plaire » (M. Barrès). La ressource est-elle ce qui va permettre à la didactique de sortir de la situation fâcheuse et transmissive d’hier ? L’apprenant pourrait maintenant puiser dans des ressources à sa disposition. On est, en effet, plutôt aujourd’hui dans la catégorie du dictionnaire « moyens (…) dont dispose ou peut disposer une collectivité« .

 Certains restreignent assez nettement l’usage du terme. Ainsi, François Mangenot quand il évoque un « environnement pédagogique » dans lequel l’ordinateur contient « à la fois des ressources, des outils, des activités guidées, des activités ouvertes et même des simulations » (2002 : 134). Le thème retenu ici est plus englobant : des ressources minières du dictionnaire aux ressources pour l’apprentissage. Ressources qui peuvent être aussi bien un polycopié mis en ligne sur une plate-forme de e-learning, qu’un didacticiel, un jeu, un produit ludo-éducatif, un outil de référence (dictionnaire ou grammaire par exemple), ou les inépuisables documents de la Toile. On notera une inflexion vers un usage plus singulier que celui du dictionnaire : on s’intéresse à ce qui peut être offert à chaque apprenant et on singularise, on discrétise la ressource également.

 Il faut fixer certaines limites à tout exposé et je n’insisterai pas sur des situations comme le recours aux environnements Moos, les simulations globales, Tandem ou les échanges collaboratifs entre classes virtuelles, qui ne me semblent pas relever d’emblée de la catégorie « ressources numériques ».

2. Le guidage : une médiation à (re)définir

J’adopterai une définition large du guidage et considérerai comme tel toutes les formes que peut prendre l’intervention pédagogique facilitatrice. À la variété des ressources répond la variété des formes et des moments du guidage : consignes ou conseils préalables à une activité, intervention de tutorat pendant un parcours, évaluation formative, etc. On n’oubliera pas une forme essentielle de guidage préalable qui, si elle peut rester peu apparente pour l’apprenant, n’en est pas moins parfois fondamentale : la sélection des sources ou ressources proposées, choix des sites à consulter sur la Toile ou des produits pouvant être utilisés pour un travail individuel en autoformation.

 La ressource, par contraste avec le cours ou l’exerciseur d’autrefois, suggère un apprenant initiateur du processus d’apprentissage, ou pour le moins en position centrale. Le guidage que va alors lui fournir l’institution doit donc se placer dans la même perspective. Il faut s’interroger sur son utilité, ou sa nocivité, sur son acuité. Quand doit-il être plus ou moins fort (coercitif ?), discret, incitatif, respectueux de l’initiative de l’apprenant ? Relève-t-il de l’hétéroformation (voir ci-dessous) ou du compagnonnage ? Comment les consignes, les explications et les évaluations classiques doivent-elles évoluer et se construire pour constituer un guidage dans des ressources, vers des ressources ou complémentaire de celles-ci ?

3. Contextes d’apprentissage « numériques » et guidage – Diversité, exemples prototypiques

3.1. Diversité des mises en œuvre

Pour un aperçu de la diversité des mises en œuvre possibles à partir d’un même point de départ, le recours à des ressources numériques ou aux TIC(E), on pourra consulter, par exemple, les analyses d’Elisabeth Brodin (2002), qui a observé six modèles de mise en œuvre à l’intérieur d’une même recherche action menée sur plusieurs années en Picardie.

 On signalera également les numéros des Langues modernes, Les nouveaux dispositifs d’apprentissage des langues vivantes (2000) et du Français dans le monde, Apprentissage des langues et technologies : usages en émergence (M.-J. Barbot et V. Pugibet, dir., 2002). Le rapport Compétice (F. Haeuw, dir., 2002), quant à lui, liste des situations de FAD qu’il est intéressant de mettre en regard des modèles d’E. Brodin.

Je relèverai maintenant quelques exemples qui me permettront de mettre en valeur des éléments pertinents pour la liaison entre ressources et guidage.

3.2. Consultation de sites Internet

Cet exemple est celui qui vient le plus naturellement à l’esprit actuellement. On peut estimer que l’activité de consultation de sites Internet est de loin aujourd’hui l’usage le plus répandu des TIC, en formation initiale en tout cas. Si l’on pense « ressources numériques » c’est également avec la Toile et ses trésors d’informations que se fera spontanément l’association d’idées.

3.2.1. Recherche individuelle d’informations sur un thème choisi par l’apprenant

C’est le cas où l’on propose à l’apprenant, de niveau intermédiaire ou avancé et en général étudiant ou adulte, de préparer un exposé oral ou une fiche écrite dans la langue étudiée sur un thème de son choix. (Pour des exemples on pourra se reporter à C. Develotte, 2003 ou M.-J. Barbot et E. Chachaty, 2002.) La recherche des informations se fait le plus souvent sur le temps de travail personnel de l’apprenant. S’il y a guidage, c’est plutôt sous forme de préparation : apprentissage de l’usage de moteurs de recherche, de la prise de notes ou du relevé de passages pertinents.

 Des documentalistes interviennent éventuellement dans le centre où se fait la recherche. On a donc affaire alors à un guidage de type méthodologique (sur la distinction entre méthodologie et contenu, voir ci-dessous 4.1).

3.2.2. Recherche encadrée sur un thème choisi par l’apprenant

On peut imaginer une variante plus « guidée » où la recherche se fait sur le temps encadré par un enseignant, ce qui permet une intervention tant méthodologique que de contenu. Cette situation est, me semble-t-il, peu courante : éclatement des sources consultées et des thèmes traités rendant l’encadrement difficile pour un groupe de taille « normale ».

3.2.3. Recherche sur un thème proposé et à partir de sites eux aussi proposés

On retrouve un cas classique : l’enseignant propose un thème et une liste de sites à consulter (voir G. Enjelvin 2002, D. Lucchinacci, 2000, par exemple).

 Les tâches proposées en résultat de la recherche seront, elles aussi, plus variées : exposé de synthèse, constitution d’une partie d’un dossier collectif du groupe classe… L’ensemble du groupe est alors en général engagé dans des activités sur un même thème. Le guidage méthodologique sur la procédure de recherche n’est plus (autant) nécessaire. Les points d’entrée sont donnés, l’apprenant peut se concentrer sur le contenu et la tâche proposée par l’enseignant. On a affaire à une tâche plus ciblée, accessible à des apprenants plus faibles et plus jeunes.

3.2.4. Statut des ressources et nature du guidage

La Toile est souvent présentée comme la version extrême de l’hypertexte, l’hypertexte des hypertextes. L’hypertexte est lui-même à l’origine associé à une philosophie de consultation et d’apprentissage très particulière : la navigation, un fonctionnement reproduisant celui de la mémoire associative, un apprentissage déclenché par ces associations d’idées libres et non linéaires. Georges Vignaux (2001) rappelle les discours de T. Nelson  » Nelson a tenté d’appliquer sa vision à l’apprentissage. Il critiquait les modes d’enseignement assisté par ordinateur et proposait l’hypertexte comme nouvelle approche (…) Puisque chaque apprenant possède une structure cognitive qui dépend de ses expériences et de ses capacités, chacun (…) devrait posséder un mode particulier d’accès et d’interaction avec la connaissance (…) il faut laisser l’étudiant choisir ce qu’il désire étudier. Il faut donc lui donner une variété de matériaux intéressants pour ce faire. Dans ces circonstances les étudiants seront motivés à atteindre un niveau d’accomplissement personnel supérieur à ce qu’ils peuvent accomplir dans le cadre de l’enseignement traditionnel. S’ils commencent assez tôt à naviguer dans les hypertextes, ils atteindront l’âge adulte avec des esprits bien faits. Ils seront menés par l’enthousiasme et l’intérêt, ils ne seront jamais désemparés, ils demeureront toujours désireux d’en savoir davantage et ils se montreront enfin bien plus intelligents que les gens ordinaires« .

 Cet optimisme semble avoir été démenti par un certain nombre de recherches qui mettent en avant la surcharge cognitive, les difficultés de repérage dans une structure complexe. « Il a fallu attendre les premières études empiriques, dans lesquelles des systèmes expérimentaux étaient testés dans des conditions réelles d’utilisation, pour découvrir que la réalité était assez éloignée de cette vision idéale« , rappelle Jean-François Rouet (1997 : 171-172), qui insiste par ailleurs sur le fait « qu’on ne peut faire l’économie d’une véritable pédagogie de la documentation » (1997 : 167). Il souligne également que « la simple exposition répétée à un même environnement de travail » (1997 : 177) permet une « familiarisation [qui] joue un rôle essentiel dans la capacité des élèves à exploiter les propriétés spécifiques de l’information dans les hypertextes« (ibid.). (Voir également Rouet et Tricot, 1998 ; Tricot et al., 1999.)

 Les formes de guidage évoquées ci-dessus permettent, parmi d’autres, de contourner ces obstacles élégamment et efficacement.

 Il faut toutefois souligner que la nature des ressources consultées s’en trouve alors quelque peu modifiée. Il ne s’agit pas ou plus de naviguer dans un univers pleinement hypertextuel et il convient d’être très clair dans les (re)présentations que l’on (se) donne. Avoir consulté avec succès des sites sur Internet ne signifie pas que l’on a maîtrisé ni la recherche d’information ni le principe de la navigation hypertextuelle. Pour prendre un exemple extrême, certains enseignants insistent sur le fait qu’ils veulent apprendre aux apprenants à trouver rapidement une information dans un long texte. Ils posent une ou plusieurs questions très précises (date de construction d’un monument, surnom donné à tel personnage…) et les apprenants doivent consulter certains sites pour trouver les réponses.

 Je dois avouer que de telles tâches me posent problème [1]. Quelle est exactement la compétence linguistique ou langagière que l’on développe et pourquoi ? On reste parfois, me semble-t-il, dans un cadre bien étroitement scolaire. En conséquence a-t-on affaire à des ressources ou à de simples supports d’exercice ? La ressource n’existe-t-elle pas uniquement pour l’enseignant ? Le petit guide Internet et les classes de langue (Roy Sprenger, 2002) me semble bien montrer comment on passe d’une approche à une autre : ressources pour l’apprenant, ressources pour l’enseignant. Ses suggestions d’activités et de scénarios pédagogiques oscillent entre un pôle et l’autre.

 Un guidage et des consignes « de fer » n’enlèvent-ils pas le statut de ressource recherché aujourd’hui ? L’excès de guidage ne tue-t-il pas la ressource ?

 3.3. Autoformation guidée en centre de ressources

3.3.1. L’autoformation guidée : un dispositif de formation complet et complexe

J’évoque ici ce qui relève de l’autoformation éducative. « L’autoformation ’éducative’ recouvre l’ensemble des pratiques pédagogiques visant à développer et faciliter les apprentissages autonomes, dans le cadre d’institutions spécifiquement éducatives. (…) Le terme d’autoformation traduit ici une visée éducative, l’autonomisation des apprenants participant alors du projet pédagogique des formateurs« (P. Carré, A. Moisan, D. Poisson, 1997 : 22). Quelques lignes plus loin les auteurs parlent de « la décentration pédagogique caractéristique de l’autoformation et (…) la centration sur le sujet apprenant et son accompagnement par un formateur devenu facilitateur« .

 J’écarte donc l’autodidaxie, y compris celle qui se met en place dans un centre de ressources en libre-service.

 Divers cas de figure sont possibles (voir Abé-Hildenbrand, 2003 ; Albero, 2000 ; Blin, 1998 ; Poteaux, 2003 ; Springer, 1996 ; Vincent-Durroux et Poussard, 1998 ; Walski, 1993 ; Demaizière, 1996).

 On relèvera quelques points communs structurants :

    importance de la prise de responsabilité et d’initiative de l’apprenant, il s’agit d’apprendre par soi-même et non de suivre ou subir la parole magistrale ou les choix de l’enseignant sans marge de manœuvre (il ne s’agit nullement d’être seul sans suivi ou guidage pour autant) ;

    individualisation du parcours et important temps de travail individuel sur les matériaux du fonds du centre de ressources ;

    encadrement institutionnel assuré sous forme d’entretiens de tutorat.

Les ressources sont souvent des produits hors ligne pédagogiques. On a donc alors, à la différence des cas précédents, un guidage pédagogique inclus dans la ressource. On reste néanmoins dans la perspective de la ressource d’apprentissage dans la mesure où il y a choix de l’apprenant qui peut sélectionner ou écarter chaque produit en fonction de ses besoins et de ses désirs. Si les matériaux à utiliser pour le travail individuel sont prescrits (typiquement à la suite d’un test diagnostic d’entrée dans le dispositif) sans réelle négociation avec l’apprenant, la question du paragraphe 3.2.4 se pose à nouveau. Ne s’agit-il pas d’un excès de guidage qui tue la notion même de ressources, et d’autoformation, qui me semble lui être intimement liée ?

 Une autre forme de guidage essentielle réside, ici, dans le tutorat. On n’oubliera pas non plus le guidage constitué par la sélection des ressources à offrir. Les critères peuvent alors relever des caractéristiques de la population d’apprenants (degré de « difficulté », thèmes plus ou moins adaptés aux centres d’intérêt supposés ou au champ concerné – langue de spécialité, apprentissage sur objectifs spécifiques…). Ils seront aussi (la didacticienne linguiste que je suis l’espère) liés à la cohérence scientifique des différentes approches : éviter de proposer des produits intégrant des explications ou des activités scientifiquement ou méthodologiquement inadéquates, dépassées, incohérentes entre elles…

3.3.2. Diversification des intervenants et des guidages

Plusieurs formes de guidage coexistent donc dans le dispositif de formation. Le guidage est à la fois préalable à l’accès aux ressources, puis dans et à côté des ressources pendant leur utilisation. Qu’il s’agisse de guidage interne ou externe, les intervenants peuvent être nombreux : différents auteurs pour différentes ressources, différents tuteurs ou personnes ressources (présentes pendant le travail individuel en centre de ressources dans certains cas), différents formateurs [2] pour des séances de groupe intégrées au dispositif (pour l’expression orale en particulier). Il est donc essentiel de veiller à la bonne coordination des différentes interventions (voir ci-dessous 5.3).

3.4. Individualisation ou diversification ponctuelles

Il est possible d’individualiser ou de diversifier les parcours des apprenants sans bouleverser aussi fondamentalement l’organisation du groupe que dans le cas précédent et sans faire appel à la FAD qui sera évoquée ci-après.

 Certains enseignants du second degré mettent ainsi en place des plages de travail multimédia ou multi-médias (recours aux TIC, à la vidéo, à des documents sonores ou papier…) en particulier grâce à l’existence d’un espace langue dans l’établissement. On est dans les modèles des « TIC satellites« , du « multimédia intégré » ou de la « cohérence thématique liant toutes les technologies » d’Elisabeth Brodin (2002 : 158-163).

 Il peut y avoir « continuum entre les activités traditionnelles et celles mettant en œuvre les outils » (D. Lucchinacci, 2000 : 12) ou bien recours aux ressources numériques pour des exercices ou activités distinctes de ce qui est traité en groupe mais complémentaires (travail sur les structures de la langue à partir d’un cédérom pédagogique, remise à niveau de certains apprenants, approfondissement pour d’autres). En général le guidage enseignant reste fort : « Il ne s’agit pas de laisser les élèves ’libres’, mais de leur proposer un apprentissage auto-dirigé avec des consignes et des tâches précises à accomplir. Pas question, par exemple, de laisser les élèves se connecter à l’Internet et lancer une recherche dont on ne sait ce qu’elle va donner. Le champ de recherche doit avoir été limité auparavant par le professeur et c’est à l’intérieur de pages déjà sélectionnées que va se faire le travail » (D. Lucchinacci, 2000 : 15). Le même auteur écrit pourtant (2000 : 12) « il faut que l’élève puisse participer à la prise en charge de son apprentissage, que celui-ci corresponde à un projet, à des objectifs qu’il s’est fixés« . On perçoit le choix réfléchi d’un guidage qui a semblé adapté à un groupe de 30 à 35 élèves de niveaux hétérogènes. Pour une approche similaire, équilibrant guidage enseignant et travail des élèves en binômes mis en compétition pour trouver les réponses à un questionnaire, on pourra se reporter au texte d’Alain Verreman (2001).

 En formation continue, un certain nombre d’écoles de langues et de formations proposent des formules mixtes où des séances en présentiel sont complétées par un travail diversifié en centre de ressources. On est dans le modèle « TIC satellites » et l’on peut parfois constater des dérapages dus à des excès ou des manques de guidage. Soit le formateur responsable des séances de groupe et la personne responsable du centre de ressources considèrent toutes deux que c’est à elles de guider l’apprenant, qui se trouve ainsi confronté à des guidages et des interlocuteurs concurrents et éventuellement contradictoires. Il y a bataille de statut entre deux intervenants et deux guidages.

 Dans l’autre cas, aucun des intervenants ne considère qu’il entre dans ses tâches de se préoccuper de ce qui se passe pendant les plages de travail individualisé. Le formateur « classique », travaillant en présentiel, a peu de considération pour ce volet complémentaire (d’ailleurs généralement vendu moins cher que sa propre prestation). La personne se trouvant au centre de ressources, souvent qualifiée de « personne ressource » se limite à des interventions techniques ou administratives et considère qu’elle n’a pas à assurer un guidage pédagogique pour lequel elle n’est ni payée ni reconnue.

 3.5. Apprentissage à distance sur une plate-forme de e-learning

3.5.1. Les différents espaces proposés

Les ressources sont en ligne sur la plate-forme. Les apprenants les utilisent comme support de leur travail à distance et participent à un ou plusieurs forums : un forum par chapitre ou activité, un forum général sur l’organisation du parcours de travail ou les problèmes de gestion, un forum de type « café » réservé aux apprenants, par exemple.

3.5.2. Différentes mises en œuvre

Dans une version pédagogique que je qualifierais de « basse » les apprenants posent des questions au formateur, tuteur, animateur. Les termes varient et peuvent refléter des approches différentes. L’idée est souvent que l’on questionne sur ce qui « pose problème ». L’échange est dirigé vers l’enseignant, il est vertical et non pas horizontal (entre partenaires à statut plus égal dans le groupe).

 Dans des formes plus ouvertes (et j’utilise le terme à dessein pour orienter vers l’esprit d’une FOAD, voir Chasseneuil, 2001, plus que d’une simple FAD), les apprenants échangent entre eux et le ou les formateurs interviennent pour relancer la discussion, proposer des synthèses (voir Lamy et Goodfellow, 1998 ; D’Halluin, 2001 ; Écoutin, 2001).

 La ressource propose alors en général des tâches mieux susceptibles de susciter un échange entre apprenants. On constate parfois une grande variété d’interventions : techniques, administratives, pédagogiques, expertes (un expert de contenu), méthodologiques. Ainsi les Cahiers d’études du Cueep (D’Halluin, 2001 : 165-170) distinguent un formateur, un animateur, un tuteur méthodologue (qui « pourra relancer le formateur si sa réaction se fait trop attendre« ). Éric Écoutin (2001 : 4) parle de trois pôles dans les fonctions d’accompagnement : accompagnement direct (tourné soit vers la connaissance du domaine, soit vers le suivi individuel, soit vers la mise en œuvre des acquisitions) ; fonctions de coordination ; fonctions de support technique.

 Il semble qu’un pourcentage relativement important d’interventions enseignantes est nécessaire pour faire vivre les forums : dans l’expérience de Marie-Noëlle Lamy et Robin Goodfellow (1998) on relève que sur les 205 messages envoyés, 107 venaient des enseignants. Le Cueep (D’Halluin, 2001) mentionne 28 messages du formateur pour 32 venant des étudiants.

 Il faut, à mon avis, tenir compte de la nouveauté de la situation pour les apprenants concernés, peu habitués à ce que tout ne vienne pas du formateur pour revenir vers lui. On peut supposer qu’avec l’habitude un certain nombre d’initiatives seront prises plus spontanément (cf. la remarque de J.-F. Rouet citée en 3.2.4). Pour ce qui est de l’impréparation des formateurs, elle est tout aussi courante aujourd’hui, je dirais parfois criante. Dans une analyse d’un dispositif de FOAD portant justement sur la formation de formateurs à la FOAD, E. Duplàa, A. Galisson et H. Choplin (2003) montrent que, alors même qu’ils devaient former de futurs intervenants de FOAD, les formateurs n’ont pas su penser ni mettre en œuvre les fonctions des intervenants en FOAD. « Trois résultats majeurs émergent de cette expérimentation. D’abord, les formateurs n’ont pas, entre eux, de définition cohérente des fonctions d’accompagnement (par ailleurs présentées théoriquement dans les ressources hypermédias de la formation). Certaines fonctions de conception et de mise en œuvre sont amalgamées, et des acteurs de l’accompagnement ne sont pas définis » (479).Par rapport aux cas évoqués en 3.2 et 3.3, on voit, avec l’exemple du e-learning, apparaître nettement un aspect social d’apprentissage par les pairs. Le guidage suscité par l’intervention d’un apprenant est offert à tous les membres du groupe, le tutorat n’est plus un tête-à-tête (même si certaines interventions « privées » du formateur tuteur pourront s’adresser à un seul apprenant en marge du forum collectif). Et surtout le guidage vient en partie des pairs apprenants.

3.5.3. Ressources ou support de travail imposé ?

On remarque d’entrée, que, dans les mises en œuvre du e-learning, on utilise fréquemment le terme « cours ». Le principe qui veut que la dernière mode technologique opère un retour en arrière didactique est-il une fois de plus vérifié ? De plus, ce cours ou les autres formes de support déclencheur est en général unique et donc identique pour tous les apprenants. N’est-on pas alors en train de parler de « ressources » uniquement parce que tout ce qui est numérique est aujourd’hui qualifié de « ressources » (tout comme on a parlé d’autoformation dès qu’il y avait travail individuel et TIC en oubliant l’épaisseur conceptuelle d’origine) ?

3.5.4. Une autre variante de la co-construction entre ressources et guidage

Je m’orienterai vers une interprétation plus positive en pointant que l’on peut observer une autre variante de la co-construction entre ressources et guidage. En effet, même si l’on a un seul support comme c’est en général le cas en FAD, si les forums s’organisent et sont animés (guidés) dans l’esprit d’une centration sur les apprenants et leurs questionnements, leurs hypothèses, on peut retrouver l’idée fondatrice des ressources. Ces ressources seront l’ensemble constitué par le support de travail et les forums incluant donc la communauté des apprenants et un guidage enseignant, fondamental et spécifique. Tout comme pour le tutorat (voir 3.3.2), le guidage (qui est souvent dénommé « tutorat » d’ailleurs) devra prendre des formes différentes de celles de l’intervention enseignante classique en présentiel.

4. Quelques distinctions classiques… et pertinentes

4.1. Contenu et méthodologie

Un certain nombre de dispositifs dissocient les interventions sur le contenu disciplinaire de ce qui relève de la méthodologie : apprendre à apprendre, compétences transdisciplinaires… Le tutorat de contenu et le tutorat méthodologique sont parfois confiés à des personnes différentes. La distinction se repère d’abord dans les centres de ressources et les situations d’autoformation guidées, qui sont en quelque sorte des ancêtres ici, mais elle est pertinente pour nos divers cas de figure prototypiques.

 Pour la recherche sur la Toile, quel guidage fournir pour éviter que l’apprentissage de la méthodologie de recherche ne prenne un temps démesuré ou ne bloque les tâches mettant en œuvre la langue ? Faut-il diriger vers certains sites pour concentrer le guidage sur les contenus ou faut-il profiter de l’activité de recherche pour susciter un apprentissage méthodologique ? Insistera-t-on sur une technique de prise de notes, par exemple, ou plutôt sur l’aspect « bain de langue », etc. ?

 Dans le cas du e-learning, on pourra consacrer un forum spécifique à l’organisation du travail en contraste à des forums liés à telle ou telle partie ou point traités (voir 3.5.2). Guidage de contenu et guidage méthodologique doivent-ils être dissociés ou confondus ? Peuvent-ils, doivent-ils être réalisés par le même intervenant, par un spécialiste de la discipline ? Peut-on apprendre à apprendre en dehors de l’apprentissage d’un contenu ? Questions posées de manière aiguë depuis l’époque des centres de ressources et qui restent de pleine actualité.

4.2. Intervention réactive ou proactive

Le tuteur et le guidage doivent-ils intervenir seulement sur demande de l’apprenant, être réactifs ou bien doit-on aller vers l’apprenant pour engager le dialogue avec lui sur ses apprentissages et être proactif ? On constate que l’attitude réactive, passive dirais-je, conduit souvent à un non-échange : les apprenants ne se manifestent pas, la permanence du centre de ressources, le forum de FAD restent désespérément vides ou sont surinvestis par quelques rares apprenants.

 L’attitude proactive peut, elle, facilement verser dans une forme de contrôle et de jugement déplacés par rapport à l’esprit des principes de départ. On veut voir l’apprenant pour vérifier sa progression, ses résultats, pour lui dire ce qu’il doit faire. Le bon équilibre semble à trouver du côté d’une présence sollicitant à intervalles réguliers la parole des apprenants, créant ou relançant la socialisation, dynamisant la progression sans pour autant envahir cet espace de parole de manière abusive (voir Demaizière et Foucher, 1999) : dans un entretien de tutorat individuel ou dans l’animation d’un forum de FAD, partir de la parole des apprenants, la mettre en valeur pour orienter vers l’étape suivante.

 Les conseils que donne Gilly Salmon (2000) aux modérateurs de forums en FOAD vont dans ce sens. Elle suggère d’offrir des ressources plutôt que des ’réponses’ ; de produire des commentaires ou questions qui invitent les participants à répondre ; de bien mesurer l’équilibre entre se tenir à l’écart et intervenir ; de faire part aux autres de son expérience sans les submerger de ses remarques ; d’indiquer clairement à chacun que sa contribution est souhaitée et sera valorisée ; de rechercher des signes de construction de connaissance et de les mettre-les en valeur plutôt que d’attendre des résultats spécifiques.

4.3. Auto, hétéro et écoformation

Trois pôles classiques de la recherche sur l’autoformation : formation par soi-même, par l’autre (investi du statut de « maître » et professionnel de l’enseignement) et par les choses, l’environnement.

 Les ressources numériques peuvent être envisagées comme des éléments de l’environnement et susciter une écoformation dans le cas d’une recherche « libre » sur la Toile par exemple. L’utilisation d’un produit pédagogique proposant à l’utilisateur une métaphore maître-élève se rapprochera de l’hétéroformation, mais un logiciel et ou un site restent des objets plus que des « maîtres ». La centration sur les apprentissages se mettra plus ou moins bien en place selon le type de guidage proposé justement (voir 4.1 et 4.2). Il sera utile de réfléchir à l’orientation du dispositif. Veut-on aller vers l’auto, l’hétéro ou l’écoformation ? Comment le faire ? Le couple ressources guidage semble écarter l’approche rigidement hétéroformatrice puisqu’il s’agit de donner à l’apprenant un contrôle au moins psychologique et pédagogique (voir Carré et al., 1997 : 94-96) sur son apprentissage.

 Une réflexion sur les axes « autoformation sociale« , « autoformation existentielle » et « autoformation cognitive« , autres constituants de la « nouvelle galaxie de l’autoformation » de P. Carré, A. Moisan et D. Poisson (1997 : 20) sera également utile pour cerner les formes de guidage adéquates en fonction des ressources et de l’approche choisies.

4.4. Ressources pédagogiques, pédagogisées, brutes

On a souvent contrasté les matériaux pédagogiques, pédagogisés ou bruts (les documents « authentiques » pour l’apprentissage des langues).

 Les documents bruts évoquent plus aisément les ressources. Ils ne contiennent aucun guidage préalable et laissent donc la place à toute forme de guidage qui paraîtra la mieux appropriée dans l’instant. Le risque de vide pédagogique est évident en contrepartie. Le document pédagogisé (par la création d’un livret d’accompagnement proposant des explications, des activités…) permet d’offrir un guidage facilitateur, la pédagogisation dissociée du document de départ pourra aisément se modifier d’un groupe à l’autre, d’une année à l’autre… L’enseignant maîtrise mieux le guidage qu’il offre. On peut ranger la présélection de sites Internet dans cette catégorie de même qu’une intervention facilitatrice dans un forum de e-learning si l’on constate des difficultés particulières à un groupe d’apprenants.

 Le document pédagogique a l’inconvénient maintes fois souligné de se présenter comme fermé, verrouillé dans un scénario préalable. Il peut avoir l’immense avantage (dans le cas optimum) d’avoir été produit par une équipe de spécialistes ayant disposé de moyens inaccessibles à un enseignant ou une petite équipe isolés. Il permet également d’entrer d’emblée dans le vif du sujet : l’apprentissage de la langue. Le guidage suit et / ou accompagne la ressource, il ne doit pas nécessairement précéder son utilisation dans le dispositif. Ce guidage vient alors en général d’un formateur (tuteur…) qui n’est pas l’auteur de la ressource.

4.5. Approche magistrale, expositive ou pédagogie de la découverte ? Relation maître-élève ou apprentissage collaboratif ?

Quelques découpages classiques de la pédagogie générale sont pertinents pour ce qui nous occupe ici.

 Peut-on parler de guidage dans des ressources si l’on adopte un mode transmissif, expositif, avec vérification des acquis sous forme d’un test constitué de QCM après écoute ou lecture d’un exposé, d’un cours, d’une suite de règles… ? Cela semble difficile et pourtant certains dispositifs de FAD ou certains sites dits d’apprentissage font-ils autre chose (sur le mode comment faire du vieux, de la vieille pédagogie, avec du neuf, le numérique – j’ai déjà fredonné cette rengaine ci-dessus, voir 3.5.3, elle est lancinante) ?

 Une pédagogie de la découverte ou du projet est évidemment mieux en phase avec ce qui nous intéresse ici. Encore faut-il ne pas introduire des formes de guidage qui aboutissent à ne rien laisser découvrir (voir ci-dessus, 3.2.4).

 Utiliser Internet ne signifie pas que l’on sort des modèles transmissifs et faire consulter un site Internet ne signifie pas que l’on a mis en œuvre une pédagogie de la découverte. Un site pédagogique n’est pas par définition didactiquement « de pointe ».

5. Éléments pour un précis du bon usage du guidage

5.1. Le principe de cohérence

Parler de guidage dans des ressources suggère que l’on met l’apprenant au centre de la situation pédagogique. Ressources et formateurs sont supposés être à sa disposition pour déclencher et favoriser ses apprentissages.

 On veillera donc d’abord et avant tout à rester en cohérence avec l’approche de départ, sauf à se payer de mots et de modernité tout en proposant des situations pédagogiques relevant d’une autre philosophie. Certaines formes de directivité et d’encadrement systématiques ne relèvent pas du guidage mais de la prescription.

 B. Albero (2000 : 263) a déjà montré la difficulté à opérer la mutation nécessaire dans son étude sur des centres de ressources. « Dans les faits, peu d’intervenants pédagogiques et, a fortiori, peu de centres ont réalisé cette mutation. La plupart tendent à transférer les compétences d’enseignement acquises dans les dispositifs plus traditionnels de cours ou stages en présentiel. Il en découle une contradiction entre les apports théoriques du champ, le potentiel de ces dispositifs et la mise en œuvre réelle qui est faite dans les pratiques des acteurs, apprenants compris« .

5.2. Qui ne signifie pas l’uniformité

Le guidage sera d’autant mieux adapté qu’il sera en cohérence avec une approche par les ressources. Au-delà de ce principe de base bien des variations seront possibles dans les interprétations et les mises en œuvre en fonction de la spécificité de chaque situation. Institutions de formation, apprenants, formateurs et ressources imprimeront tous leurs marques et infléchiront les choix. Il serait vain de demander à certains formateurs d’aller contre leur nature ou leurs convictions alors qu’ils réussissent à construire des scénarios pédagogiques cohérents et efficaces même si d’autres réussissent à aller plus loin dans l’ouverture ou l’autonomisation des apprenants. Les exemples évoqués en 3.1 et 3.4 sont une bonne preuve de la variété envisageable par rapport au guidage minimal emblématique de certaines aspirations actuelles.

5.3. Ne pas user de guidages contradictoires

Abondance de guidage peut être nuisible. Un guidage peut en tuer un autre plutôt que de le renforcer (voir 3.4). Quelques grands classiques de la tentation enseignante viennent à l’esprit. Tout formateur agissant comme tuteur pour des apprenants utilisant des matériaux pédagogiques dont il n’est pas le concepteur risque de porter un œil critique sur certains choix, certaines explications : « ce n’est pas ainsi que j’ai toujours expliqué, ce serait plus clair si cela était présenté comme je l’aurais fait, avec d’autres exemples, d’autres termes… ». Et l’on voit le tuteur aller vers des apprenants qui, pour leur part, ne rencontraient aucun problème particulier, pour réexpliquer à sa manière, tellement plus claire, mieux adaptée…, sans percevoir que cette superposition d’approches a peu de chances d’aider l’apprenant. Ce qui a été offert comme une ressource doit le rester et ne pas être, implicitement ou non, dévalorisé.

5.4. Résister à la tentation de faire cours

De manière similaire, l’échange de tutorat se transforme trop souvent irrésistiblement en cours particulier alors que l’enseignant devrait y jouer un autre rôle. Qu’il est difficile de ne pas faire cours tout autant que de ne pas présenter sa manière de faire et de laisser l’initiative enseignante aux logiciels, aux sites pédagogiques, aux cours en ligne ou autres !

 « Comme il est normal et quasi inévitable, la plupart des tuteurs sont prélevés sur le réservoir des enseignants (…) Le risque, là, serait d’oublier qu’il s’agit de deux fonctions profondément différentes, même si elles présentent évidemment des points communs (et c’est précisément sur ces points communs que les risques de dérapage sont les plus grands). La tentation est naturelle en effet, pour un enseignant, de tirer la guidance dans la direction de ses comportements habituels et nul ne peut se dire d’avance, à coup sûr, à l’abri de ce péril. » (L. Porcher, 1998 : 465). M.-J. Gremmo (2003 : 160) souligne que les attentes des apprenants peuvent aller dans le même sens : «  de nombreux apprenants s’attendent, de par leurs représentations, à participer à un ’cours particulier’, où il sera principalement question de leur compétence linguistique« .

5.5. Éviter les arguments d’autorité non nécessaires

Guider l’apprenant pour qu’il fasse son chemin personnel mais que faire s’il ne prend pas d’emblée la bonne route, si ses propositions sont maladroites, partiellement erronées ? Le guidage va-t-il privilégier les erreurs à redresser (tout comme lorsque l’on corrige une copie on a tendance à souligner ce qui ne va pas plutôt qu’à mettre en évidence ce qui est positif) ? C’est le réflexe de l’enseignant correcteur, redresseur d’erreurs. Pourtant le guidage devrait s’attacher plutôt à relever ce qui convient et à s’appuyer sur le positif pour alimenter la dynamique de la progression. Il est frappant de constater que des enseignants qui prennent habituellement fort bien ce rôle dans le face-à-face de la classe ont souvent du mal à le conserver dans les situations asynchrones ou plus distanciées où il y a recours aux TIC.

 De la même manière, dans un forum où il est souhaitable d’encourager les échanges entre apprenants, il conviendra de ne pas asséner abruptement la solution, la bonne réponse à des apprenants qui auront ensuite logiquement bien du mal à s’essayer à leurs questionnements ou leurs propositions. C’est ce que souligne G. Salmon dans les conseils cités en 4.2. Marie-Noëlle Lamy (2001 : 136) parle ainsi de l’enseignant intervenant sur un forum de FAD : « Pour maintenir la motivation tout en évitant de donner les réponses, il reste bref et se cantonne le plus souvent à des relances de question (…) une stratégie de visibilité constante et d’interventionnisme minimal« .

 Une citation de Louis Porcher (1998 : 467) reprend bien les derniers points que je viens de mettre en avant. « La qualité primordiale d’un consultant, c’est (…) l’aptitude à se mettre à la place de l’autre, à se décentrer (…) c’est une personne qui apprend, c’est une autre qui aide, mais elles sont toutes les deux des personnes et doivent veiller constamment à ne pas se laisser enfermer dans des rôles préétablis qui les sépareraient. Cette égalité, fondatrice du partenariat, n’est pas une symétrie, bien entendu. Fonctionnellement le consultant est celui qui sait, le recours, le secours. Il ne doit pas abandonner cette dimension de son rôle, mais la mise en scène relationnelle qu’il en fait s’opère sur la base d’un respect mutuel« .

5.6. Sans oublier son devoir d’ingérence pédagogique

Je fais allusion ici au paragraphe « Le devoir d’ingérence des enseignants » de D. Poisson (Carré, Moisan, Poisson, 1997 : 168-169).

 « [l’] autonomie de l’apprenant ne doit pas (…) déresponsabiliser les enseignants. Nous revendiquons un devoir d’ingérence de l’institution éducative. (…) Comme en médecine, les enseignants sont garants collectivement des savoirs « à enseigner »(…) Le droit d’ingérence s’exerce aussi quand les apprenants perdent visiblement leur temps (…) Au niveau du choix des méthodes, le devoir d’intervention existe aussi, car spontanément les apprenants redemandent les méthodes qu’ils ont connues, même si elles ont été causes de leur échec (…) Il faut (…) déboucher sur une coresponsabilité négociée et contractualisée.« 

5.7. Et la nécessité d’intervenir et de guider pour que certaines ressources soient pleinement exploitées

Je reprendrai le questionnement de Maguy Pothier (2001 : 44-45) suite à l’expérimentation du logiciel Camille. « Le fait que pratiquement personne n’ait spontanément utilisé les réseaux, qui étaient pourtant susceptibles d’aider à la compréhension et à la résolution des problèmes, pose la question de l’intérêt de fonctionnalités auxquelles les utilisateurs n’accèdent pas. Est-ce le manque d’information préalable à l’utilisation du logiciel qui est en cause, le manque de transparence des aides ou le manque de guidage pour inciter à leur utilisation ?« .

 5.8. Savoir gérer le temps et les priorités

Si certains pré-requis (comme l’habitude de la recherche sur Internet) ne sont pas remplis, il faudra évaluer la valeur du temps qui sera « perdu » pour les apprentissages disciplinaires si l’on se consacre à cet apprentissage transdisciplinaire préalable. Il faut savoir parfois perdre du temps pour en gagner ensuite : imposer systématiquement un ou deux sites à consulter empêchera d’aller ensuite d’un coup vers des consultations libres.

 Plus globalement, imposer un parcours ou une méthode de travail peut très efficacement casser la dynamique d’apprentissage qui aurait pu se créer après quelques balbutiements ou papillonnages de début. Si l’on dispose de très peu d’heures, prescription et enseignement magistral peuvent être « rentables » et raisonnables… mais on ne sera plus du côté des ressources… Cohérence et bon sens s’imposent : c’est un classique. Inutile à répéter ?

5.9. Savoir « les laisser seuls »

Inquiétude lancinante du formateur : « Que vont-ils (mes apprenants) devenir sans moi, face aux machines, aux logiciels, à l’immensité de la Toile… ? ». L’autonomisation de l’apprenant déstabilise fortement nombre de formateurs alors que les apprenants la vivent souvent très sereinement : « les répondants sont proportionnellement plus nombreux à être satisfaits par les dispositifs les plus autonomisants. Les situations pédagogiques qui prennent en compte l’autonomie de l’apprenant et sa capacité à s’autodéterminer dans les questions qui touchent à sa formation, semblent être fortement valorisées par les usagers » (B. Albero, 2000 : 241).

 Les apprenants peuvent apprécier de ne pas être en permanence supervisés et encadrés. Encore faut-il avoir bien pensé l’ensemble du dispositif. Autre évidence qu’il est utile de rappeler.

5.10. Ne pas demander à l’apprenant ce que peut seul faire le formateur

Savoir doser autonomie, autonomisation et guidage. Les positions de principe, quasiment idéologiques, peuvent diverger sur ce point. Claude Springer (1996, chapitre 10) a bien analysé et contrasté différents choix existant pour l’autoformation guidée. Je militerais pour une prise en compte du devoir d’ingérence (voir 5.6 ci-dessus) et de l’importance de la professionnalité pédagogique ou didactique, pour que l’apprenant ne soit pas confronté à des opacités qu’il ne peut expliciter lui-même, parce qu’il faudrait pouvoir comparer différentes approches ou explications par exemple, retrouver les théories sous-jacentes, décoder trop d’implicites… (voir 3.3.1 également).

5.11. Un impérieux devoir de solidarité

Ce point a été évoqué en 3.4 et 5.3. É. Écoutin (2001 : 10) énonce ainsi une règle pédagogique de la FAD : « ne pas mettre en cause le contenu du cours devant l’apprenant« .

 Je rappellerai que l’approche par les ressources conduit à des ressources humaines diversifiées elles aussi. La solidarité entre intervenants est essentielle. Il faut que les guidages se renforcent, se complètent mais ne se détruisent pas mutuellement. Tout guidage est à penser dans l’ensemble du dispositif.

5.12. De l’importance du contexte – La goutte d’eau et l’océan

Il serait irresponsable de penser que tout apprenant si jeune ou débutant soit-il peut tirer parti de toute ressource numérique et j’ai souligné l’idéalisme des positions de T. Nelson (3.2.4). Par contraste, on entend souvent dire que l’initiative de l’apprenant, son autonomisation peut, certes, être envisagée, mais plus tard : pas avec moi en collège, attendons le lycée ; pas avec moi en premier cycle universitaire, attendons le doctorat… (paroles entendues). On peut en général aller beaucoup plus loin vers la proposition de ressources pour l’apprentissage que ne le prétendent ces collègues. Par contre, je crains qu’il ne soit guère possible de déclarer (décréter à ce stade des recherches) que pour tel niveau, tels apprenants, il faut plus ou moins de guidage, tel ou tel type de ressources. Trop de paramètres entrent en jeu et il faut en revenir, je le crains, à des généralités : bon sens et cohérence mis en œuvre grâce à une expertise didactique et pédagogique d’autant plus indispensable que l’on est dans une situation d’innovation.

 Par ailleurs, il me paraît important d’insister sur la nécessité d’une prise en compte de tous les aspects du contexte dans lequel est placé l’apprenant. Cet apprenant suit souvent un cursus composé de divers cours ou enseignements. Il fréquente une structure qui a sa politique, son état d’esprit, plus ou moins explicites mais en général sensibles. Le cours de langue n’est pas toujours l’élément le plus important. Dans nombre de formations il est même tout à fait mineur et dévalorisé. Mettre en place une approche radicalement différente de celle que vivent les apprenants par ailleurs peut alors relever de la mission impossible : une goutte d’eau d’approche par les ressources et le guidage dans un océan d’enseignements frontaux et prescriptifs ? On retrouve les principes de solidarité et de cohérence évoqués plus haut dans une version plus négative.

Conclusion – Construire la co-construction

J’ai essayé de montrer que guidage et ressources se co-construisent. Cette construction mutuelle s’effectuera d’autant plus efficacement que les ressources auront été elles-mêmes « bien » construites et les guidages bien préparés par une formation de formateurs adéquate. Autres problèmes qui demandent encore recherches et mises en œuvre. La « culture de conception » que Tricot et al. (1998) appellent de leurs vœux reste largement à construire, la formation des formateurs en général et à l’usage des TIC en particulier elle aussi (voir par exemple, R. Guir, 2002). Je conclurai sur l’importance de la didactique de la discipline pour ces deux secteurs et ainsi pour un guidage optimum face aux ressources numériques.

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[1] J’établis une différence avec des activités de type cyberenquête (cyberquest) ou « défi Internet » suffisamment élaborées pour proposer une tâche faisant sens dans une utilisation de la langue (en compréhension ou en production) tournée vers un autre interlocuteur que le seul enseignant prescripteur et faisant en général travailler les apprenants en groupe. [2] Je travaille depuis longtemps dans des cadres de formation continue hors éducation nationale, et donc avec des formateurs ou des formations en langues qui se situent dans d’autres institutions ou en entreprise. J’utilise donc ici le terme « formateur » comme hyperonyme, incluant l’enseignant de l’éducation nationale dans cette catégorie professionnelle plus large.