Le français a le rare privilège d’être une des langues les plus parlées et les plus répandues dans le monde, présent sur les cinq continents, langue officielle des organisations internationales et intergouvernementales. Ceux qui le parlent (ou le comprennent) et ceux qui l’apprennent font partie de l’une des communautés linguistiques et culturelles les plus diversifiées. Il est le produit d’une évolution interne et de son histoire en lien avec ses locuteurs. On ne peut donc que s’interroger à un moment charnière : où en est-on au premier quart du 21ème siècle ?
La question s’inscrit bien entendu en lien direct avec le sommet de la francophonie de Villers-Cotterêts (4-5 octobre 2024) et sera plus particulièrement traitée sous les aspects de la connaissance de la francophonie en France et dans le monde, de l’histoire et de l’évolution de la langue, de sa place dans le concert plurilingue et de la diversité culturelle qui lui est consubstantielle.
Enjeux et objectifs
Le projet de ce colloque a obtenu la labellisation du Secrétariat général du Sommet de la Francophonie (SGSF). Il réunit de nombreux partenaires francophones de différentes universités en France et dans le monde comme l’université marocaine Chouaib Doukkali d’El Jadida (Maroc), l’université de Franche Comté (France), l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal), Université Ibnou Zohr à Agadir (Maroc) et d’autres. Ses thématiques (francophonie scientifique, plurilinguisme, interculturalité, avenir de la francophonie, digitalisation, découvrabilité …) sont susceptibles d’attirer l’intérêt d’un large public.
Il s’agit en effet de valoriser une francophonie dynamique en France et dans l’ensemble de la communauté francophone, de revisiter l’histoire de la francophonie, de son développement et de son statut ici et ailleurs. Il s’agit plus précisément de contribuer à la connaissance d’une francophonie plurilingue (variétés linguistiques) et pluriculturelle (Littératures française et francophone), de développer la francophonie scientifique en éducation entre les pays de la Méditerranée, les pays d’Afrique, d’Europe, d’Asie et d’Amérique. Le colloque étudiera aussi le devenir des doctorants dans ces domaines et sera particulièrement sensible à l’écocitoyenneté, à l’interdisciplinarité et à la diversité en francophonie.
L’hypothèse est que la réflexion scientifique en français et sa diffusion contribueront à développer un sentiment d’appropriation de la francophonie par les Français et, au-delà, par tous les jeunes de l’espace francophone. Dans une époque numérisée et où l’intelligence artificielle va prendre une place de plus en plus massive, grandit la facile tentation d’un (mono)unilinguisme mondial que contredisent pourtant, et parfois violemment, les revendications culturelles identitaires. L’enjeu d’une diversité culturelle appuyée sur une variation linguistique assumée, porté par la francophonie, est celui de l’utilité de la langue française dans son espace propre et à l’échelle mondiale.
Axes thématiques
Le colloque permettra des échanges autour de plusieurs axes en lien avec la francophonie telles que la réflexion sur l’historicité de la francophonie, les recherches sur les fondamentaux (lire, écrire en français) face au plurilinguisme et la diversité culturelle à l’école, sur l’innovation pour l’avenir de la francophonie et le devenir des jeunes chercheurs français et internationaux.
La France, la francophonie et la diversité francophone dans le monde
D’Onésime Reclus (1837-1916), le premier à utiliser le terme de « francophonie » à aujourd’hui, l’histoire de la francophonie n’a pas cessé d’évoluer. Si ce géographe français a considéré comme francophones « tous ceux qui sont ou semblent destinés à rester ou à devenir participants de notre langue », l’objectif initial était de créer une solidarité humaine à travers le partage culturel et donner à une langue son rôle d’unificateurau détriment des races, des religions, des conditions économiques et sociales qui séparaient les peuples. Mais qu’en est-il aujourd’hui de la francophonie politique, géographique, linguistique, culturelle ? Y-a-t-il un besoin de redéfinition des rapportsentre la France et ses anciennes colonies et de revenir sur ce que les chefs d’Etats initiateurs de la francophonie (Habib Bourguiba (Tunisie), Hamani Diori (Niger), Léopold Sédar Senghor (Sénégal) et Norodom Sihanouk (Cambodge) avaient initié après les indépendances ? Où en est aujourd’hui la coopération culturelle et linguistique entre la France, les pays francophones d’Afrique, d’Asie, d’Europe et des Amériques ? Quelle évolution depuis la création de l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT) à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ? la Francophonie et la francophonie sont-elles un choix sachant que selon le type de francophonie, de langue étrangère, de langue maternelle ou de langue seconde, elle peut être imposée par l’histoire ou choisie par l’individu (ou la famille) ou valorisée dans les politiques linguistiques d’un pays. Par exemple, « l’origine coloniale de la francophonie de langue seconde suscite parfois chez ses locuteurs des sentiments ambivalents qui peuvent aller du rejet pur et simple à des revendications de propriété vigoureusement affirmées, comme on a pu en lire de magnifiques chez beaucoup d’écrivains. Faire percevoir ces variations au sein du monde francophone, montrer leur égal degré de dignité relève non seulement d’un travail linguistique et culturel très important, c’est aussi une part de l’indispensable éducation à l’altérité (Chnane-Davin et Cuq, 2021, p. 34). Il s’agit de revenir également sur la place du français dans l’enseignement ici et ailleurs ainsi que celle de la francophonie (Chnane-Davin et al. 2018) dans la dynamique sociolinguistique. Comment toutes ces questions idéologiques influencent-elles ou pas les politiques linguistiques et la motivation des individus à apprendre le français ? Que devient le français avec les élites francophones désormais formées dans les pays anglophones ? Comment accompagner des pays qui réintroduisent le français dès les petites classes ? Cela nous amène à nous interroger sur l’avenir de la francophonie ici et ailleurs, qu’elle soit linguistique, culturelle, politique, géographique, scientifique.
– Plurilinguisme et diversité francophone dans le monde FLE/FLS/FLM
– Interculturel et littératures francophones
– Pratiques de classes et place de l’enseignement de la francophonie
Dans cet axe, un certain nombre de réflexions/questions (non exhaustives) pourront être traitées :
Tout d’abord le statut et la place du français : Quel est le statut et quelle est la place du français (FLE/FLS/FLM) dans une francophonie plurilingue où les variétés linguistiques dialoguent, voire s’entremêlent avec la norme ? S’érige-t-il comme un moteur de croissance (Attali, 2014) ou bien cède-t-il sa place pour favoriser une prise en compte harmonieuse de la diversité linguistique ?
Cela conduit à questionner la place de l’enseignement de la francophonie et à en dresser un bilan de ses enjeux et usages (Chnane-Davin & Cuq, 2021) : pourquoi et comment la/les francophonies (Chnane-Davin, Lallement, & Spaëth, 2018) sont-elles enseignées ? La francophonie comme mouvement culturel et littéraire peut constituer un levier de réflexion.
En effet, les dynamiques des contacts de langues et de cultures traversent les littératures francophones contemporaines. Nous pouvons nous demander dans quelle mesure ces littératures sont aptes à rendre compte de ces dynamiques ? Plus avant, nous constatons ces dernières années un intérêt grandissant des recherches en littérature plurilingue : Comment celle-ci a-t-elle contribué à la connaissance d’une francophonie pluriculturelle où les littératures française et francophone se côtoient pour créer une littérature-monde (Le Bris et al., 2007) ? Ou bien assistons-nous encore au clivage entre littérature française et littératures francophones (Moura, 2014) ? Nous nous intéresserons aux œuvres littéraires francophones, à leur place, leur diffusion et leur didactisation en classe de français (FLE/FLS/FLM). Cette littérature-monde constitue un outil pédagogique interculturel performant, et invite à se pencher sur son exploitation didactique dans les pratiques d’enseignement de l’école primaire à l’enseignement supérieur (notamment dans les départements de littérature française). En amont, la formation initiale et continue des enseignants de langues et de français pourra être explorée.
Cet axe s’intéresse particulièrement à la recherche en langue française en sciences humaines et particulièrement en éducation, ses domaines, ses retombées, ses acteurs. Il porte un intérêt particulier à l’innovation pédagogique synonyme, selon Cros (1997), de transformation. Il ne s’agit pas d’inventer sans cesse de nouvelles pédagogies mais de s’appuyer sur l’existant et de proposer ce que Béchard et Bédard (2009) appellent une novation « dans un milieu donné différent de celui d’où elle origine » (p.34). Selon les mêmes auteurs, les enjeux de cette innovation réside dans le fait qu’elle doive s’adapter aux contextes académiques et administratifs en lien avec les politiques éducatives. Puren (2021) associe recherche et dispositifs expérimentaux sur le terrain. De ce fait, nous pouvons nous questionner sur la mise en œuvre de recherche-actions, qu’elles soient collaboratives ou participatives dans le monde francophone. De même, la formation à/par la recherche, en relation avec la langue française, dans ses relations multiples et complexes avec des langues locales, qu’elles soient des langues de scolarisation ou non, est un volet à interroger. Quelle est la place qu’occupe l’enseignement-apprentissage du français dans des contextes plurilingues et pluriculturels ? Comment sont saisis les enjeux politiques, économiques, idéologiques, identitaires par des acteurs de plus en plus sensibles à ces questions ?
Que ce soit dans un cadre institutionnel local (les programmes mis en place par des structures de recherche pour encourager et développer la recherche en didactique des langues et des cultures : exemple du REMADDIF au Maroc), bilatéral (les différentes actions de coopération entre la France, la Belgique, la Suisse et le Canada francophones et les différents pays dont le français est une langue seconde, “étrangère” ou privilégiée : exemple des PHC au Maghreb), multilatéral (entre des groupements de pays: exemple des projets AUF programme APPRENDRE) ou encore à un niveau plus étendu encore (exemple des projets Erasmus sur des questions plus innovantes et transversales). L’accent sera mis également sur l’innovation, la créativité et l’employabilité pour informer sur le devenir des jeunes chercheurs, sur la formation des enseignants et sur la diffusion du français dans le monde.
À l’ère numérique, la francophonie traverse une phase de transformations profondes qui impactent divers aspects de la société. La question de la langue et de l’identité est primordiale. Comme le mentionne Jean-Michel Cornu dans « Langue et Identité à l’Ère Numérique » (2017), les réseaux sociaux et autres plateformes numériques permettent aux francophones de s’exprimer et de renforcer leur identité culturelle, créant ainsi des communautés transnationales dynamiques. De plus, l’éducation et la formation à distance profitent largement des technologies numériques. Christian Depover et Bernard Coulibaly, dans « Le Numérique au Service de l’Éducation : Enjeux et Perspectives » (2019), montrent comment ces technologies transforment l’enseignement en rendant l’apprentissage accessible à un plus grand nombre, y compris dans les régions éloignées.
Sur le plan économique, Sébastien Soriano dans « Économie de la Francophonie Numérique » (2020) met en lumière les opportunités économiques offertes par le numérique, tout en soulignant les défis que doivent relever les pays francophones dans une économie mondiale de plus en plus digitalisée. La culture et la diversité culturelle à l’ère numérique, comme le discute Dominique Wolton dans « Culture et Internet : Un Choc de Civilisations ? » (2018), constituent également des enjeux majeurs. Internet agit à la fois comme un vecteur de diffusion culturelle et comme un terrain de confrontation entre différentes cultures.
Les politiques linguistiques et la gouvernance du numérique sont cruciales pour assurer une présence forte de la francophonie dans le cyberespace. Louis-Jean Calvet dans « Politiques Linguistiques et Francophonie » (2016) et Joëlle Farchy dans « Gouvernance de l’Internet et Francophonie » (2017) explorent comment ces politiques peuvent soutenir ou entraver la diversité linguistique. Enfin, l’innovation et le développement technologique, ainsi que l’accessibilité et l’inclusion numériques, sont des axes cruciaux pour l’avenir de la francophonie numérique. Michel Authier dans « Innovation et Numérique en Francophonie » (2018) et Luc Brouillet dans « Inclusion Numérique et Francophonie » (2019) mettent en lumière les initiatives et les défis liés à l’intégration de toutes les populations francophones dans l’espace numérique. L’enjeu d’une diversité culturelle appuyée sur une variation linguistique assumée, porté par la francophonie, est celui de l’utilité de la langue française dans son espace propre et à l’échelle mondiale. À cet égard, il est crucial de noter que le français se positionne parmi les langues les plus utilisées sur Internet, renforçant ainsi la visibilité de la francophonie et facilitant l’accès aux ressources culturelles et éducatives.
Ces divers aspects montrent que le numérique offre à la francophonie des outils puissants pour renforcer son identité, promouvoir l’éducation, dynamiser son économie, et assurer une inclusion plus large et équitable de ses membres. Il est donc essentiel de continuer à explorer et à investir dans ces domaines pour que la francophonie puisse pleinement tirer parti des opportunités offertes par le numérique.
Comité d’organisation
Fatima Chnane-Davin, Jean-Pierre Cuq, Karima Gouaich, Jessyca Tretola, Guillaume Ponthieu, Raffaele Romano, Hajar Abou Jaleel
Comité scientifique
Lahoucine Ait Sagh (Université Cadi Ayyad, Maroc), Giovanni Agresti (Universite Bordeaux Montaigne, France), Sondess Ben Abid Zarrouk (Université de Haute Alsace, France), Jean-Louis Chiss (Université Sorbonne Nouvelle, France), Fatima, Chnane-Davin (Aix-Marseille Université, France), Jean-Pierre Cuq (Université Côte d’Azur, France), Minh Thuy DAM (Université nationale du Vietnam à Hanoï, Vietnam), Mohamed Embarki (Université Franche-Comté, France), Corinne Flicker (Aix-Marseille Université, France), Karima Gouaich (Aix-Marseille Université, France), Foued Laroussi (Université de Rouen, France), Morgane Leray (Aix-Marseille Université, France), Thierno Ly (Université Cheick Anta Diop, Sénégal), Abdelouahed Mabrour (Université Chouaib Doukkali, Maroc), Adil El Madhi (Université Ibnou Zohr, Maroc), Samir Marzouki (Université de Manouba, Tunisie), Catherine Mendonça-Dias (Université Sorbonne Nouvelle, France), Arnaud Pannier (Ambassade de France, Vietnam), Raffaele Spiezia (Université Studi della Campania), Valérie Spaëth (Université Sorbonne Nouvelle, France), Ousseynou Thiam (Université Cheick Anta Diop, Sénégal) ; Jessyca Tretola (Aix-Marseille Université, France), Eric Vottero (Aix-Marseille Université, France).
Références bibliographiques
Attali Jacques, 2014, La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable, Rapport à François Hollande, Président de la République française, Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2014 ISBN : 978-2-11-009886-3.
Bédard, D. et Béchard, J. (2009). Innover dans l’enseignement supérieur. Presses Universitaires de France https://doi.org/10.3917/puf.bedar.2009.01
Boursier, A. (2018). Incommunicable francophonie. Hermès, La Revue, 2018/1 (n° 80), p. 175-179. DOI : 10.3917/herm.080.0175. URL : Cairn.info.
Calvet, L.-J. (2016). Politiques Linguistiques et Francophonie.
Chnane-Davin, F.Lallemand, F. et Spaëth (coord., 2018),Enseigner la Francophonie, enseigner les francophonies Recherches et Application n° 64, juillet 2018.
Chnane-Davin, F. et Cuq, J.-P. (2021) Enseigner la francophonie. Principes et usages. Hachette FLE
Cros, F. (1997). L’innovation en éducation et en formation. Revue française de pédagogie, 118, 127-156.
Farchy, J. (2017). Gouvernance de l’Internet et Francophonie.
Grosbois, M. (2017). Espaces d’apprentissage et de recherche en langues à l’ère du numérique : enjeux et perspectives. Consulté à l’adresse OpenEdition Journals.
Le Bris, M., Almassy, É. et Rouaud, J. 2007. Pour une littérature-monde. Paris: Gallimard.
Moura, J. (2014). Critique francophone du postcolonial et critique postcoloniale de la francophonie. Dans : Claire Joubert éd., Le postcolonial comparé : Anglophonie, francophonie (pp. 81-96). Saint-Denis: Presses universitaires de Vincennes.
https://doi-org.lama.univ-amu.fr/10.3917/puv.joub.2014.01.0081
Puren, C. (2021). La problématique de l’« innovation » en didactique des langues-cultures : Proposition de modélisation conceptuelle. Dans A. Corvaglia & F. Wolf-Mandroux (dir.). 2021. Formation linguistique des apprenants allophones et pédagogies innovantes, Éditions des archives contemporaines, Coll. « Plidam ». https://doi.org/10.17184/eac.9782813003621
Soriano, S. (2020). Du télétravail à la 5G : le numérique, stop ou encore ? Administration, 2020/2 (N° 267), p. 78-81. DOI : 10.3917/admi.267.0078. URL : Cairn.info.
Wolton, D. (2018). Culture et Internet : Un Choc de Civilisations ?