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Contester le pouvoir, contester le savoir : discours, pratiques, représentations

14 novembre - 15 novembre

Colloque du laboratoire IMAGER (UR 3958 – Université Paris-Est Créteil)

 

Présentation 

Pouvoir et savoir sont indissociablement liés. Ils se nourrissent et s’engendrent mutuellement, construisant des cadres hégémoniques fluctuant selon les époques, les géographies et les cultures. La mise en cause de l’un ou de l’autre provoque une crise de légitimité et prend la forme de discours et de pratiques contestataires, souvent associés à l’émergence de contre-savoirs et de contre-pouvoirs. Le colloque du laboratoire IMAGER (Institut des mondes anglophone, germanique et roman, Université Paris-Est Créteil) entend ainsi proposer une réflexion renouvelée sur la contestation au prisme des interactions entre pouvoir et savoir. A l’instar des différentes équipes de recherche que rassemble le laboratoire, le colloque se veut résolument transdisciplinaire et souhaite mettre en avant les travaux de chercheur.euse.s en linguistique, en didactique, dans les arts et en littérature, en histoire des idées et en civilisation. Dans chacun de ces domaines, on portera une attention particulière au contexte — local, national ou global — de la contestation, mais surtout à la question des échanges et transferts culturels et à la dimension internationale de la contestation.

 

Dans les domaines de la linguistique et de la langue, la pratique discursive constitue un pilier de la contestation. Elle invite à s’interroger sur ses marques énonciatives, sur les procédés rhétoriques et sur le lexique mobilisé dans le cadre des discours de protestation. On pourra mettre en évidence les différences de procédés propres à chaque langue et proposer des comparaisons interlangues de ces types de discours. Si les langues permettent la création d’une communauté politico-linguistique autour d’une vision du monde partagée, une langue dominante peut également être remise en cause en tant qu’instrument de pouvoir et au nom de l’affirmation d’une identité, voire donner lieu à des processus de revitalisation linguistique (Fishman, 1991). On pourra également s’interroger sur la manière dont les « subalternes » font usage des mots pour s’adresser aux pouvoirs dominants (Spyvak, 1988). Enfin, la contestation peut passer par une remise en cause du langage « courant » dans le cadre d’une critique globale du système politique, social ou économique en place.

 

Argumentaire de l’axe Didactique des langues-cultures

Les migrations volontaires ou forcées, liées aux déséquilibres géopolitiques, les inégalités et les injustices sociales qui en découlent, les avancées fulgurantes de la technologie numérique qui permet d’inclure des traducteurs instantanés à tous les niveaux de l’interaction sociale et qui génère un appauvrissement de la sensibilité liée à notre déconnection avec le vivant – et en conséquence un rétrécissement de nos moyens linguistiques – tous ces évènements constituent autant de défis sociétaux qui impactent directement la didactique des langues-cultures. Ils appellent un renversement de paradigme, remettent en cause les approches pédagogiques et ouvrent de nouveaux domaines : par exemple, la socio-didactique, la neurolinguistique, l’écolinguistique, les politiques linguistiques familiales, etc.

D’un côté, les politiques de diffusion des « grandes langues » piliers de courants idéologiques consuméristes, qui se partagent un « marché des langues » et, de l’autre, une nécessité vitale d’envisager la transculturation d’un monde dont nous savons qu’il constitue un patrimoine commun à protéger et non à se partager, s’opposent en inscrivant la didactique des langues dans des antagonismes qui soulèvent des désaccords épistémologiques et des contestations au sein même de la communauté des chercheurs et des enseignants. Les tensions générées par le paradigme sur le déclin amènent à contester l’homogénéisation/la dogmatisation sur le plan méthodologique, la standardisation sur le plan des évaluations et à développer des pédagogies qui s’intéressent aux langues non plus uniquement en tant que systèmes lexico-syntaxiques que l’élève apprend à maîtriser mais en tant qu’organismes complexes faisant partie intégrante du vivant (Abram, 1997 ; Trocmé-Fabre, 2013). Dans cette vision des langues, on ne peut plus les envisager de manière exclusivement intellectuelle : le vivant appelle des approches sensibles qui tiennent pleinement compte de la corporéité des apprenants, de leurs émotions, de leurs imaginaires (Aden et al., 2019, Eschenauer et al., 2022 ; Lapaire, 2022). Cela conduit à interroger la posture du didacticien qui ne peut plus se contenter de s’appuyer sur des connaissances strictement linguistiques mais a besoin de faire preuve d’ouverture en menant ses explorations au croisement des sciences humaines, des sciences exactes, de la philosophie et des arts afin d’envisager le sujet apprenant de manière holistique. Dans cette perspective, de plus en plus de didacticiens sont conscients de la nécessité de valoriser les répertoires plurilingues des apprenants (Audras, 2022 ; Auger, 2017, Le Hénaff et al., 2022) et de voir chaque nouvelle langue qui s’y ajoute à la fois comme une source d’enrichissement de ce répertoire et comme l’objet d’enrichissement par celui-ci (Garcia & Wei, 2015). Pour aller plus loin, on peut se demander s’il est pertinent de séparer les langues d’autres langages expressifs : musical, dansé, pictural, mathématique, etc. (Borgé, 2020 ; Potapushkina, 2020) On peut également s’interroger s’il n’est pas plus judicieux, à notre époque d’effacement des frontières et de métissages, de faire de l’apprentissage des langues un vecteur de la citoyenneté mondiale (et non plus nationale). Enfin, il semble nécessaire d’aller au-delà de la considération traditionnelle selon laquelle la communication langagière renvoie à l’échange d’informations entre locuteurs ainsi qu’au-delà de la notion d’action commune que l’on entreprend en s’appuyant sur une langue partagée (approche actionnelle prônée par le CECRL) pour se diriger vers l’inscription des langues dans le « langager » voire le « translangager » comme l’envisage le paradigme énactif (Varela et al., 1993) appliqué à la didactique des langues-cultures (Aden, 2017). Celui-ci est une manière, pour l’apprenant, accompagné par l’enseignant-guide, de tisser un réseau de relations harmonieuses avec soi- même, les autres et l’environnement (Trocmé-Fabre, 2022) au travers des langues qu’il étudie  et des langages auxquels il a recours pour faciliter ce processus et le vivre de la façon la plus authentique et épanouissante possible. Nous pouvons faire l’hypothèse que cette acception phénoménologique du langage constitue le socle d’une transculturation du monde et d’une inter-compréhension négociée qui permettrait aux peuples dans leurs diversités d’œuvrer collectivement à préserver notre environnement dans une communauté de destin (Morin, 2020).

Nous proposons aux chercheurs et praticiens de faire de ce colloque un lieu de contestation, c’est-à-dire de « mise en débat » – pour rester fidèle au sens étymologique de ce terme – autour de ces différentes questions. Il s’agit d’un débat urgent à l’heure où la société se montre fort critique à l’égard du système éducatif en place, notamment par une diminution dramatique du nombre de jeunes se tournant vers les métiers d’enseignement en général et d’enseignement des langues en particulier. Parmi les raisons de cette désaffection, on compte certes des salaires peu attrayants qui ne sont pas en phase avec l’ampleur des responsabilités, mais ce désintéressement est lié aussi à des questions plus larges : quel statut accorder au professeur dans la transmission des savoirs à l’heure où ceux-ci sont facilement accessibles grâce au développement du numérique et, en particulier, de l’intelligence artificielle ; quel sens donner à l’enseignement, à l’apprentissage et, de manière plus générale, à l’éducation dans un monde qui traverse des transformations rapides et profondes et qui suscite à la fois de l’éco-anxiété et de l’indifférence ?

Après avoir rappelé le sens initial du verbe « contester », rappelons celui du verbe « éduquer » – « educere », en latin, signifie « faire sortir de », autrement dit, ouvrir des horizons, stimuler le désir de rechercher de nouveaux chemins, de s’émanciper, de se transformer. Nous souhaitons que ce colloque soit un lieu d’échange, de débat, de co-traçage de nouvelles pistes pour une éducation translangagière à la hauteur de la complexité des êtres et du monde.

 

Les propositions de communications (400 mots maximum) et d’ateliers, accompagnées d’une brève bio-bibliographie et de l’indication « axe didactique », devront être envoyées avant le 30 mai 2024 à l’adresse suivante : marie.potapushkina-delfosse@u-pec.fr Elles seront soumises à l’évaluation du comité scientifique du colloque. Les décisions d’acceptation seront communiquées aux auteur.rice.s avant le 30 juin 2024.

Afin de permettre la fluidité des échanges entre les spécialistes des différentes aires linguistiques, la langue de travail du colloque sera le français.

 

 

Éléments bibliographiques

Abram, D. (1997). The Spell of the Sensuous: Perception and Language in a More-Than-Human World. Vintage.

Aden, J. (2017). Langues et langage dans un paradigme enactif. Recherches en didactique des langues et des cultures, 14-1/2017. En ligne http://journals.openedition.org/rdlc/1085

Aden, J., Clark, S, Potapushkina-Delfosse, M. (2019). Éveiller le corps sensible pour entrer dans l’oralité des langues : une approche énactive de l’enseignement de l’oral. Lidil, 59/2019. En ligne http://journals.openedition.org/lidil/6047

Audras, I. (Dir., 2022). Patrimoines culturels des élèves. Démarches éducatives dans/pour des sociétés plurielles. Presses Universitaires de Rennes.

Auger, N. (2017). Mettre en synergie TOUTES les langues : clé pour l’apprentissage des langues, du français… et des autres matières. Les Cahiers Pédagogiques. Enseigner les langues aujourd’hui, 534.

Borgé, Nathalie (2020). Perception du geste et « dansité » du texte littéraire dans des dispositifs universitaires d’apprentissage langagier. Le Français aujourd’hui, n°205. Textes et gestes de la maternelle au lycée. (Dir.) Ducrot, V., Lapeyre, C., Martin, S., Armand Colin, pp. 33-40.

Eschenauer, S., Tellier, M., Zappa, A. (2022). Encorporer les langues vivantes : reconnaître la place du corps pour enseigner et pour apprendre. Travaux interdisciplinaires sur la Parole et le Langage. Panorama des recherches au Laboratoire Parole et Langage, 38.

Garcia, O.,Wei, L. (2015). Translanguaging: Language, Bilingualism and Education. Palgrave Macmillan.

Lapaire, J.-R. (2022). Le “ corps apprenant ” : une notion centrale en mal d’inclusion. Dans Engager le corps pour enseigner et apprendre. Diversité des perspectives. (Dir.) Duval, H., Raymond, C., Charbonneau, D. Les Presses de l’Université Laval, pp. 279-302.

Le Hénaff, C., Garçon, S., Gerin, M., Goletto, L., Perraud, C. (2022). Comprendre les langues et les cultures des familles à l’école maternelle : un exemple de pratique inclusive dans une ingénierie. Tréma, 58/2022. En ligne http://journals.openedition.org/trema/7928

Morin, E. (2020). Enseigner à vivre : Manifeste pour changer l’éducation. Babel.

Potapushkina-Delfosse, M. (2020). La marche e le tracé pour entendre et prononcer une langue étrangère. Les Langues modernes, 3/2020, pp. 57-67.

Trocmé-Fabre, H. (2022). L’arbre du savoir-apprendre. Vers un référentiel cognitif. The Art of Learning and The Knowledge Tree: Toward a Cognitive Framework. Édition bilingue. Éditions Le Manuscrit.

Trocmé-Fabre, H. (2013). Le langage du vivant. HD Précursions.

Varela, F., Thompson, E., Rosch, E. (1993). L’Inscription corporelle de l’esprit. Seuil.