Université Toulouse-Jean Jaurès
Argumentaire
Depuis environ cinquante ans, les recherches en littératie universitaire mettent en lumière les défis rencontrés par les étudiants lorsqu’il s’agit de rédiger des documents académiques complexes tels que des dissertations, des résumés, des fiches de lecture ou des recensions, des mémoires et des thèses. À l’instar de nombreux didacticiens de l’écrit (Donahue, 2010 ; Hébert et Lépine, 2012 ; Pollet, 2014 ; Boch et Frier, 2020 ; Scheppers, 2021), on considère ici que les étudiants doivent nécessairement suivre une formation aux compétences scripturales propres à l’université et les champs professionnels auxquels elle forme. Cette approche souligne que les difficultés à maitriser « l’écriture de haut niveau » comme le désigne Beaudet et al. (2016) ne devraient pas être rapportées à quelque handicap langagier ou cognitif des étudiants auquel il faudrait remédier, mais devraient plutôt agir comme des incitations, pour l’université, à jouer dans ce domaine un rôle plus fort en matière d’enseignement et de soutien (Delcambre et Lahanier-Reuter, 2010). Si les normes propres aux discours académiques sont par définition variables d’une discipline à l’autre et d’une tradition disciplinaire à l’autre, discours académiques et écrits professionnels experts ont en commun d’être « des écritures […] impliquant de penser et d’agir à travers l’écriture » (Frier, 2020, p. 35). De ce point de vue, l’arrivée à l’université est décrite par Jaffré (2004) comme un « événement littéracique majeur » pour les étudiants, événement qui suffit en lui-même à expliquer que beaucoup puissent en venir à voir vaciller leurs compétences scripturales les plus élémentaires (Lang, 2019). La proposition est dès lors de travailler sur les habiletés linguistiques, en les intégrant dans les tâches d’écriture du discours académique où l’on écrit pour penser.
Au-delà de la seule capacité à comprendre et rédiger des écrits formels, la littératie englobe un ensemble de compétences essentielles pour évoluer dans le monde académique et professionnel. Maitriser les écrits universitaires répond à des enjeux sociétaux. Elle permet une communication efficace, une pensée critique et une intégration réussie dans la société du savoir. L’enjeu est de s’approprier au sein même des disciplines universitaires des façons de penser, de s’exprimer et d’agir. Barton et Hamilton (2010) considèrent ainsi que « les pratiques de l’écrit sont modelées par les institutions sociales et les relations de pouvoir ». De la sorte, « certaines littératies sont plus dominantes, plus visibles et plus influentes que d’autres » (p. 45). Ces considérations et questionnements relèvent en Europe des littératies universitaires. Suite à l’émergence des New Literacy Studies au Royaume-Uni, les littératies universitaires se sont développées dans l’Europe francophone en tant que domaine de recherche. Ce champ, nourri notamment par les sciences du langage et la didactique des langues, est considéré aujourd’hui comme une discipline distincte permettant d’analyser les genres discursifs académiques comme ceux relevant des écrits de recherche, ainsi que les difficultés auxquelles sont confrontés les étudiants tout au long de leur parcours universitaire (Boch et al., 2016).
Le projet écri+ est un Projet d’Investissement d’Avenir pour les Nouveaux Cursus Universitaires lancé en 2018 pour une durée de dix ans, qui regroupe actuellement 24 universités françaises, avec l’objectif d’apporter des réponses aux besoins rappelés ci-dessus, en créant et développant des outils de formation, d’évaluation et de certification pour la maitrise des compétences rédactionnelles. La dynamique de ce déploiement est innovante en ce que le dispositif repose sur une analyse fine des difficultés des étudiants telles qu’elles peuvent se manifester, toutes filières confondues, dans leurs productions écrites. Le développement de sa plateforme en ligne sur la configuration du programme PIX permet aujourd’hui de tester les étudiants et de les accompagner sur des compétences précises afin de pouvoir les certifier à un niveau académique. Pour ce faire, écri+ a pu développer une grille d’habiletés originale, intégrant 16 compétences, déclinées en une dizaine de capacités chacune, parcourant des habiletés de différents niveaux, depuis les plus fondamentales jusqu’aux plus expertes, et recouvrant tous les champs de l’expression écrite, depuis le lexique jusqu’à l’élaboration du discours, en passant par la syntaxe des phrases et la structuration des textes (De Luca et al., 2022). Par ailleurs, le programme accompagne et initie toute une palette de dispositifs pédagogiques dans les établissements partenaires, depuis des tutorats ciblés jusqu’à des ateliers d’écriture, qu’ils soient destinés aux étudiants les plus fragiles, à tous les étudiants d’une cohorte, ou à des étudiants non francophones faisant leurs études en France (Dias-Chiaruttini et al., 2023).
La transformation des pratiques de formation engagée par le projet a permis d’ouvrir des espaces d’échanges de pratiques et d’outils originaux, qui contribuent sans doute à la création de communautés de praticiens à travers la France, et jusqu’au Canada. Par ailleurs, l’étude d’impact des dispositifs élaborés dans toutes les universités permet d’étudier finement l’évolution du sentiment de compétence des étudiants face à l’écrit et leur forme d’appropriation du projet tel qu’il se décline dans chaque université. Des chantiers s’ouvrent pour mieux comprendre les usages des outils, et pour mieux comprendre aussi la façon dont, par retour, ces outils agissent sur la conception de l’écrit, et dont les usages transforment leurs visées premières. L’adaptation de PIX à ce projet engage non seulement des réflexions technologiques, mais éclaire aussi des choix épistémologiques quant à la conception de la compétence et la façon de l’évaluer (Perrenoud, 2000). Il est par conséquent intéressant de revenir sur les choix épistémologiques qui ont été faits pour en estimer les apports, ainsi que les possibles contraintes.
La finalité de ce colloque est notamment de discuter les choix, contraintes et apports du projet écri+ au sein du champ des littératies universitaires.