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Activités conceptualisantes pour enseigner-apprendre les langues

Intervention en ouverture de la journée d’étude « Korpusbasierte Sprachreflexion » du 16 juin 2012

1. Introduction

L’université Paris 7, aujourd’hui université Paris Diderot, a été un lieu pionnier dès la fin des années 60 dans le domaine de l’usage pédagogique de l’ordinateur et de la didactique des langues. J’évoquerai donc quelques expériences anciennes auxquelles j’ai participé de plus ou moins près et qui me semblent toujours pertinentes. Les exemples présentés relèvent surtout de l’anglais, et de moments de la didactique des langues et de l’usage des technologies qui ne sont plus toujours d’actualité. Ils peuvent néanmoins encore inspirer les didacticiens d’aujourd’hui. Ils ont trouvé, par exemple, une résonance dans les travaux d’Eva Schaeffer-Lacroix (2009), qui co-organise cette rencontre autour de l’enseignement de l’allemand et de l’usage des corpus, d’où ma présence un peu « décalée » mais je l’espère néanmoins utile aux débats.

2. L’esprit de la conceptualisation

L’expérience pionnière en la matière est celle de l’équipe Charlirelle, créée et animée par Danielle Bailly (1997, 1998). Charlirelle a regroupé une vingtaine d’enseignants d’anglais du secondaire qui expérimentaient la méthodologie élaborée. L’équipe a publié une série de manuels de langue pour le collège, Behind the Words, « derrière les mots » (Charlirelle, 1975-1986).

Pour D. Bailly (1997), la conceptualisation est un

recours à des procédures pédagogiques d’ordre méta-linguistique. Le but de cette procédure est de faire prendre conscience aux apprenants du fonctionnement langagier, en rapportant de manière explicite la spécificité des marqueurs de la L2 à des valeurs invariantes (repérages cognitifs et psycholinguistiques).

Pour Danielle Chini (2000), qui a poursuivi des travaux dans le même esprit

« conceptualiser » ne se limite pas à « réfléchir », autrement dit à « arrêter sa pensée sur quelque chose pour l’examiner en détail », mais à organiser l’objet de son observation en concepts, en d’autres termes, en donner « une représentation intellectuelle conçue par l’esprit » (définition du Petit Larousse).

L’approche est ambitieuse, elle se réfère à « l’abstraction réfléchissante » de Piaget ou à la « schématisation du réel » de Gérard Vergnaud. Le titre d’un article de G. Vergnaud est à relever : « Au fond de l’action, la conceptualisation » (1996).

Elle implique que l’on introduit une étape de conceptualisation assumée en tant que telle dans le cours de langue. Cette phase n’est pas un cours de grammaire pendant lequel l’apprenant écoute l’enseignant lui expliquer la « règle » à appliquer. On invite les apprenants à prendre largement l’initiative, à s’exprimer, travaillant ainsi à partir de leurs représentations.

Les concepts ne sont pas transmissibles mais doivent être reconstruits par chacun. (…) Ces concepts s’organisent en réseau, ils sont donc interdépendants, et la compréhension des liens est aussi importante que l’appropriation des concepts eux-mêmes (Chini, 1999).

Ce travail sur les représentations est encore très actuel dans le paysage intellectuel et méthodologique. On est face à une conception de l’enseignement-apprentissage des langues comme formation intellectuelle autonomisante, qui fournit des repères sur ce qu’est une langue parmi les langues connues ou apprises. On est, en ce sens, proche de la démarche de Language awareness (Hawkins, 1984) ou d’éveil aux langues ou de ce qui relève de l’intérêt d’une ouverture sur le plurilinguisme (Billiez, 1998 ; Castellotti & Moore, 2002).

L’expérience a montré à la fois la capacité des apprenants à entrer dans la démarche et le plaisir qu’ils prennent à « se lancer » dans des interprétations et à s’interroger sur le système linguistique qu’ils doivent appréhender, tout comme à faire des comparaisons avec leur langue maternelle par exemple.

Et l’âge n’est pas un handicap, la conceptualisation est, au contraire, plus aisé avec de très jeunes et fonctionne particulièrement avec des apprenants habituellement rebutés par la « classe », considérés comme n’étant pas de « bons élèves ». On les découvre sous un jour nouveau.

3. Théories linguistiques d’appui

Qu’il s’agisse des travaux de Charlirelle ou des travaux ultérieurs conduits dans le même esprit, la référence, pour l’anglais, a été principalement la théorie des opérations énonciatives d’Antoine Culioli (Culioli, 1999). Une linguistique Chomskyenne ne serait pas adaptée à ce qui est recherché ici. Il y a besoin de références qui ne séparent pas le syntaxique du sémantique, qui placent l’activité et les représentations des co-énonciateurs au centre des explications. Une approche, qui, comme le dit Émile Benveniste (1966, 1974), voit la langue comme une re-présentation du monde et non comme un système générant automatiquement des énoncés « bien formés ». Les travaux plus récents qui relèvent des linguistiques cognitives sont sans doute des pistes à explorer dans le même esprit.

4. Exemple 1 – Charlirelle

4.1. Les échanges de la phase de conceptualisation

La phase de conceptualisation de Charlirelle peut donner lieu à des échanges très riches. Je vais en évoquer quelques-uns, pour les avoir vus en tant qu’observatrice ou vécus comme enseignante utilisant cette approche (il s’agit de souvenirs, je ne garantis donc pas l’exactitude mot pour mot).

À l’occasion d’un travail sur les possessifs, un échange sur ce qu’est la possession : « quand quelqu’un dit ’mon mari’, elle ne le possède pas, mais elle a un droit sur le titre, elle a le droit de dire ’mon’ même s’il ne lui appartient pas comme personne ».

À l’occasion d’une discussion sur le présent dit « progressif » (en « -ing« ) : « c’’est comme le beurre qui fond dans la poêle ». L’apprenant a saisi la notion de déroulement en cours au moment de l’énonciation, derrière cette métaphore culinaire.

Une remarque d’un élève de 5ème lors d’un échange sur le contraste entre présent « progressif » et présent simple en anglais : « c’est comme dans un film, on sait qu’il y a une scène d’amour, toutes les x minutes (présent simple), et pendant la scène, la perspective est autre, on est dedans (présent en -ing) ». La différence de point de vue de l’énonciateur est perçue pour expliquer le jeu entre les deux formes, contraste qui n’existe pas en français et est donc peu facile à intégrer pour des apprenants francophones.

Lors d’une discussion sur l’auxiliaire servant à construire le présent « progressif », un apprenant remarque : « Quand je dis ’I am speaking English’, je suis l’anglais ». Il a saisi que le choix de l’auxiliaire n’est pas arbitraire, on utilise « être » (« be« ) pour construire cette forme verbale.

Un échange sur le fait que pour parler de l’avenir en anglais on utilise la forme will, qui est une forme de présent, signifiant au départ « vouloir » (a will = un testament par exemple), conduit à (essayer de) faire percevoir qu’il n’y pas vraiment de « futur » en anglais. Je ferai parce que je veux faire. (On peut faire remarquer, à cette occasion, qu’autrefois on disait « I shall » = devoir, je ferai parce que je dois, les mœurs ont évolué…). Les apprenants accrochent bien à ce genre d’explication en général. Et comprennent, si l’occasion se présente de l’évoquer, que, par un retournement significatif, les mouvements de défense des droits des Noirs aux États-Unis disaient « we shall overcome », avec une force accrue, nous vaincrons parce qu’il ne saurait en être autrement.

Par ailleurs, on est amené ensuite, quand on aborde ce qu’on appelle habituellement le conditionnel, à rencontrer la forme « would« , qui est le passé de « will« . Une apprenante me pose la question suivante : alors si je dis « I would not« , ça voudra dire « je ne voulais pas, je n’ai pas voulu ». Elle a exactement retrouvé un sens de « would » souvent difficile à interpréter par des francophones, qui ne voient là qu’un « conditionnel » justement. On peut aider à faire sentir, dans le même sens, l’origine de l’usage d’une terminaison en -ait, de passé, en français pour le conditionnel. On construit le conditionnel avec une forme passée parce qu’on se coupe du présent et qu’on peut le faire vers le passé ou vers l’irréel, le conditionnel. Suite à ces échanges la réaction des apprenants du groupe a été de demander à l’enseignante de français pourquoi on ne faisait pas, en cours de français, de la grammaire comme avec moi pour l’anglais (il s’agissait d’un établissement « parallèle », autogéré, où les jeunes n’avaient pas leur langue dans leur poche).

Il s’agit donc de donner des clés, de montrer à l’apprenant qu’il peut se poser des questions et oser des hypothèses et que celles-ci seront souvent adéquates.

Évidemment des généralisations incorrectes vont apparaître : « je connaissais « I understand« , a fait remarquer un élève de 6ème, mais alors maintenant je vais devoir dire « I am understanding« . On réagira en expliquant que l’idée est bonne mais que cette habitude de dire « I understand » était correcte parce qu’il faut distinguer les verbes d’état comme « understand » de verbes comme ceux que l’on vient de voir et qui expriment des actions. Aujourd’hui, il serait alors intéressant de remarquer le slogan qui dit « I’m lovin’ it« , verbe d’état avec un présent en « -ing », phénomène de plus en plus fréquent et, là encore, une évolution de la langue qui fait sens culturellement.

On voit, dans un tel cas, l’intérêt de ne pas se limiter à une « grammaire explicite » classique et à aller vers le palier métalinguistique intermédiaire, exprimer un état ou un processus peut se faire au niveau du choix de telle forme verbale plutôt qu’une autre mais il existe aussi des valeurs au niveau du sens de base du verbe. Un exemple comme celui-ci est également l’occasion de donner l’habitude que souvent plusieurs solutions sont possibles, avec une nuance venant d’un point de vue différent de l’énonciateur. On est, peu ou prou, dans le domaine de la glose, cette glose proche de l’épilinguistique, que Culioli met souvent en avant dans ses travaux.

4.2. La conclusion de la séance : une fiche grammaticale de synthèse

L’enseignant encourage les apprenants à proposer librement leurs remarques, leurs métaphores, il doit savoir les interpréter et les intégrer à la discussion. En fin de séance, il assume de proposer une synthèse commune, ayant fait en sorte que celle-ci apparaisse, dans toute la mesure du possible, comme émanant des commentaires du groupe. Cette synthèse correspond à une « fiche grammaticale » qui se trouve dans le manuel.

4.3. Les exercices d’application

Très classiquement, Charlirelle propose un cahier d’exercices, un effort a été fait toutefois pour sortir des exercices « mécaniques » du type, « Mettez les phrases ci-dessous à la forme interrogative / négative… ». Chaque exercice est, aussi peu maladroitement que possible, mis en situation, l’ensemble des phrases de l’exercice formant une mini histoire. Face à la réalité de ce que montrent des corpus, cela semble un peu ridicule aujourd’hui, peut-être, mais l’exemple ci-dessous est extrait d’un manuel de première année d’anglais (classe de 6ème) et ne me semble pas grotesque même avec le recul du temps.

Aujourd’hui les animaux du zoo sont fatigués et ils dorment ! Ben, le gardien, est obligé de rassurer les visiteurs déçus en leur affirmant que d’habitude, ça se passe autrement. Prenez la place de Ben.

Modèle :

Visitor : The monkeys aren’t eating bananas today !

Ben : Oh ! But they usually eat bananas.

Aujourd’hui, le recours à des corpus devrait permettre de proposer des phases d’application qui seraient plus richement mises en situation et auraient une valeur énonciative, une résonance avec une langue dans son usage hors manuel scolaire.

4.4 . De la conceptualisation à la prise en charge de la correction des productions et interprétations

Dans l’approche de Charlirelle, l’enseignant essaie systématiquement que les apprenants aient l’initiative pour se « corriger » eux-mêmes ou se répondre mutuellement en cas d’interrogation. La fiche de synthèse permet de puiser dans un langage dont on espère qu’il est devenu commun au groupe et sur lequel on peut donc s’appuyer pour les séances ultérieures. Il est important que, en cas de doute, de « problème », l’enseignant ne soit pas systématiquement le premier et seul recours des apprenants mais que ceux-ci, au contraire, intègrent qu’ils peuvent chercher, et trouver, par eux-mêmes des solutions.

5. Revenir à l’anglais

Je prendrai maintenant l’exemple de Revenir à l’anglais, série de didacticiels de révision approfondissement rédigés sous ma direction, en gros entre 1976 et 1994.

Les limitations techniques sont évidentes par rapport aux séances de conceptualisation évoquées pour Charlirelle, néanmoins, l’approche est similaire en termes de références de base et de désir de donner à l’apprenant l’occasion de partir de ses propres représentations (voir Demaizière, 1986).

Ces didacticiels proposent des questions ouvertes, questions en « Pourquoi… ? », par exemple (voir Demaizière & Dubuisson, 1989), entraînant des réponses à développement sur plusieurs lignes, qui sont suivies de commentaires détaillés des réponses, commentaires construits grâce à des pré-tests et au recours à des langages d’auteur performants pour le traitement de messages textuels (de tels outils, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’existent plus, les questions posées dans Revenir à l’anglais ne sauraient être envisagées aujourd’hui, il faut s’appuyer sur d’autres atouts des technologies). Cela permet de laisser l’apprenant prendre l’initiative.

Voici un exemple, tiré du didacticiel Quelques transpositions de l’imparfait auxquelles on ne pense pas toujours (titre choisi à dessein : il s’agit de transpositions, pas de traductions « automatiques » mot à mot). Le didacticiel est basé sur des extraits du livre de Georges Simenon, La nuit du carrefour, et de sa traduction anglaise par R. Baldick, Maigret at the crossroads. On part donc d’un roman, ce qui permet des extraits assez longs et contextualisés, dans un genre que l’on peut supposer connu des apprenants, le roman policier de la série des aventures de Maigret, et d’une traduction professionnelle par un anglophone. On observe que six formes anglaises différentes correspondent aux imparfaits de Simenon, le didacticiel insiste sur cette variété pour faire saisir la valeur de certaines formes anglaises souvent mal connues des apprenants francophones.

Voici l’exemple d’un écran du début du didacticiel.

Il y eut aussi une rafle. Le panier à salade sortit vers deux heures de la Préfecture, revint plus tard par la cour du Dépôt où il déversa son butin. L’interrogatoire durait toujours. D’heure en heure, ou de deux heures en deux heures, selon sa fatigue, Maigret poussait un bouton. Le brigadier Lucas […]arrivait, jetait un coup d’œil sur les notes du commissaire, prenait la suite. Et Maigret allait s’étendre sur un lit de camp pour revenir à la charge avec de nouvelles provisions d’énergie.

Dans cet extrait, G. Simenon raconte des événements passés, il utilise pour cela le passé simple, puis l’imparfait. Le traducteur aurait pu choisir le prétérit partout mais son choix a été différent pour la fin du texte. Nous allons essayer de comprendre pourquoi.

Qu’est-ce qui différencie les événements passés évoqués par « sortit » et par « arrivait » ?

On est ici à l’opposé des exemples donnés ci-dessus, les apprenants francophones ont un passé grammatical « lourd’ dans leur langue maternelle et sont habitués à « réciter » des leçons de grammaire plus qu’à exercer leur esprit d’observation, ce qui les conduit à produire des réponses en contradiction avec ce qu’ils ont sous les yeux et dont on peut penser qu’ils le maîtrisent parfaitement tant en production qu’en réception. Seules 15 % des réponses données correspondent à peu près au fait que le panier à salade est sorti une seule fois alors que le brigadier est entré toutes les une ou deux heures et que l’on a donc dans un cas une action unique et dans l’autre une action répétée. Certes, plus de 60 % des apprenants parlent de répétition ou d’habitude, ou d’action unique et semblent donc avoir une perception du phénomène à relever mais les scories sont nombreuses (voir Demaizière & Trévise, 1991). Un certain nombre de réponses tiennent à indiquer que le passé simple de « sortit » exprime quelque chose qui est « inattendu, surprenant, subit », clichés habituels liés à cette forme mais inadéquats ici. En parallèle, l’imparfait est associé à une action qui « dure, est lente, longue ». Une réponse indique « ’sortit’ évoque un événement assez bref (…) ’arrivait’ décrit une arrivée lente car Lucas sommeille encore », il s’agit sans doute d’une résurgence de l’habitude de l’explication de texte scolaire. La grammaticalisation et les habitudes d’analyse antérieures parasitent la démarche d’analyse spontanée. Il est alors utile de partir de ces verbalisations bien ancrées pour les mettre en perspective et les dépasser, c’est un des buts de cette question.

D’autres didacticiels de la série partent sur un terrain plus « vierge » et sollicitent par des amorces du type « regardez les exemples ci-dessus et dites ce que vous remarquez », avec un large éventail de réponses plus « spontanées ».

Un autre exemple est celui d’un didacticiel intitulé Dire ou ne pas dire… Say or tell ? . Il s’agit de traiter, comme l’indique le titre, de la différence entre deux verbes, « say » et « tell« , pouvant correspondre à « dire ». On apprend, en général, des listes d’expressions ou de formulations sans explication structurante : tell me, tell a story, say your tables, say something to…« . On peut, pourtant, faire apparaître que c’est une affaire de point de vue privilégié : celui de la relation entre co-énonciateurs pour « tell » et celui de la relation entre l’énonciateur et les paroles prononcées pour « say« . On peut y faire réfléchir et mettre les apprenants en position de trouver par eux-mêmes la forme adéquate : pour « dis la vérité » on choisira « tell« , mais « dis le mot » = « say the word » (chanson des Beatles) et pour « Dites-le avec des fleurs » l’on aura « Say it with flowers« , par exemple.

6. Objectifs métalinguistiques et méthodologiques de la conceptualisation

L’objectif est d’aider les apprenants à appréhender des catégories métalinguistiques, des paliers essentiels, et des opérations de base, détermination, générique, identification, rupture… Il est également de sortir de sortir du carcan de la « règle » traditionnelle, qui dit infailliblement ce qui peut se dire ou pas, sachant qu’il ne peut y avoir qu’une solution et une seule, que, en langue maternelle on dit X et en langue étrangère il n’y a qu’un seul équivalent « correct », le reste est « faux », ne se dit pas (cf. le titre du logiciel Quelques transpositions de l’imparfait auxquelles on ne pense pas toujours, pour montrer que l’on ajoutera souvent des nuances possibles dans une langue et pas dans une autre et que l’énonciateur a souvent un jeu possible, le choix entre plusieurs formes). Nombre d’exercices de « grammaire » imposent une unique réponse correcte alors que plusieurs solutions seraient envisageables, mais on est à l’école pour savoir ce qui est bon et ce qui est « faux » du point de vue de l’enseignant. L’effort est, ici, d’aller vers un autre état d’esprit pour aborder la langue étrangère.

Notons, pour terminer cette section, que, dans les exemples cités ici, la réflexion s’est faite, et cela sans complexe inutile, en français. Certains ont essayé des procédures similaires entièrement en langue étrangère. On voit bien les difficultés du côté de la spontanéité d’expression des apprenants et les avantages en termes de pratique de la langue étrangère. Le débat reste, pour moi, ouvert !

7. Sur quoi mettre l’accent pour aujourd’hui ?

Ce retour que l’on m’a demandé sur des expériences anciennes et une comparaison avec des outils d’aujourd’hui me conduit à dire qu’il serait bon de mettre l’accent sur la présentation d’exemples authentiques, bruts ou remaniés plutôt que fabriqués, grâce en particulier aux facilités offertes par les corpus. Il semble difficilement justifiable aujourd’hui de ne pas puiser dans les ressources accessibles facilement pour présenter des énoncés riches et pertinents aux apprenants.

Aller en ce sens pourrait permettre d’éviter certains des pièges redoutables que pose le métalangage à toute tentative de verbalisation métalinguistique. On pourrait, par exemple, explorer le potentiel de groupes d’exemples aux valeurs ou interprétations similaires qui seraient présentés avec un minimum d’explications et de terminologie et pourraient ainsi servir de repères « allégés » en étiquettes et en discours métalinguistique d’accompagnement, la force des exemples regroupés remplaçant autant que possible lesdites explications.

8. Les apprenants peuvent conceptualiser mais à quelles conditions ?

J’ai essayé de souligner que les apprenants sont parfaitement capables de conceptualisations pertinentes si on leur en donne l’occasion. Mas quelles sont les conditions à remplir pour que cela soit possible ? Il est évident que les expériences évoquées ci-dessus ont tendance à inquiéter certains enseignants qui se sentiraient déstabilisés dans leurs habitudes et leurs pratiques et ne se sentent pas « d’attaque » au niveau théorique. Je dirais que l’essentiel ne réside pas tant dans la compétence en sciences du langage ou en linguistique de la langue concernée que dans l’assurance pédagogique face à ce type de situation. Une conceptualisation demande un enseignant à l’écoute des propositions des apprenants, qui leur laisse de l’initiative, donc qui est, avant tout, solide pédagogiquement de manière à trouver des repères explicatifs et des scénarios pédagogiques qu’il pourra « dominer » face aux suggestions venant de la « base » apprenante. Cette solidité pédagogique est aussi importante que la compétence en linguistique, même si c’est sur cette dernière que « butent » un certain nombre d’enseignants qui n’osent pas aller vers de telles approches

9. Conclusion

Il me semble que la conceptualisation reste d’actualité pour une approche ambitieuse de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères, avec les adaptations à l’époque par rapport aux expériences évoquées ci-dessus. Le recours à des corpus peut être précieux pour aller dans le sens des expériences que j’ai rappelées ici.

Références

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  Benveniste, É. (1966, 1974). Problèmes de linguistique générale – Tomes 1 et 2. Paris : Gallimard.
  Billiez, J. (dir.). (1998). De la didactique des langues à la didactique du plurilinguisme, Hommage à Louise Dabène. Grenoble : CDL-Lidilem.
  Castellotti, V. & Moore, D. (2002). Représentations sociales des langues et enseignements – Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe – De la diversité linguistique à l’éducation plurilingue – Étude de référence. Conseil de l’Europe. Disponible en ligne.
  Charlirelle (1975-1986). Behind the Words, livres de l’élève et livres du maître. Paris : OCDL.
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  Culioli, A. (1999). Pour une linguistique de l’énonciation. Paris : Ophrys.
  Demaizière, F (1986). Enseignement assisté par Ordinateur. Paris : Ophrys.
  Demaizière, F. & Dubuisson, C. (1989). « L’analyse des messages de l’apprenant en EAO ». Langue Française, n° 83. pp. 51-66.
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