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Didactique des langues et technologies – De la recherche aux mises en œuvre, des mises en œuvre à la recherche

1. Du va-et-vient idéal aux réalités

Le titre choisi pour ce texte[1] suggère une position un peu idéale où recherches didactiques et mises en œuvre sur le terrain s’alimentent et s’enrichissent mutuellement. Evidemment tout n’est pas si simple. Bien des recherches restent dans un cercle fermé qui atteint peu le terrain. On brasse des concepts, on expérimente, on crée des prototypes utilisés sur quelques dizaines d’apprenants dans le cadre d’un projet mais aucune phase de généralisation des résultats n’existe. La faute n’en est pas qu’aux chercheurs. Ceux-ci doivent vivre ou survivre grâce à des subventions qui, une fois épuisées, obligent à passer à autre chose sans que l’on puisse consacrer de temps aux approfondissements ou aux élargissements souhaitables du point de vue du terrain. Par ailleurs, le niveau de langue attendu dans les publications scientifiques et leur orientation les rend souvent peu accessibles aux non-chercheurs.

A l’autre pôle, se situent les praticiens et les décideurs qui vont initier un certain nombre de projets, acheter du matériel ou des logiciels, changer les outils précédemment utilisés sans avoir le temps (ou sans le prendre) d’interroger la recherche ou les résultats d’expériences précédentes, sans s’informer en profondeur sur ce qui existe ou a existé, sans envisager toutes les conséquences pédagogiques sur les enseignants et les apprenants concernés. On ne connaît que trop l’innovation fuite en avant techniciste pour rechercher une image de marque de modernité. On connaît aussi la résistance naturelle de beaucoup de formateurs qui ne souhaitent pas changer leurs habitudes et vont habiller de neuf technologique des pratiques restant fondamentalement les mêmes. Quant à ceux qui souhaiteraient réellement s’informer ou se former il leur est parfois bien difficile de trouver les sources ou les lieux qui leur seraient utiles.

2. Nécessité d’intermédiaires

Je souhaiterais donc souligner l’importance de trouver des ponts entre ces univers trop souvent distants. Une liaison peut s’établir par le biais d’un effort de la part des chercheurs pour « populariser » leurs résultats et les formuler en termes accessibles et pertinents pour les praticiens. Elle peut être favorisée par des formations de formateurs prenant en compte les recherches et se centrant sur les méthodologies, la réflexion didactique et pédagogique plutôt que sur de seules initiations techniques dépourvues de ces dimensions ou sur des « recettes ». L’importance d’une attitude réflexive est aujourd’hui régulièrement soulignée. Le praticien réflexif sera mieux à même de maîtriser son utilisation des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) et de la faire évoluer de manière raisonnée et raisonnable. Des intermédiaires sont également importants pour faire connaître la diversité des réflexions et des propositions en matière de TIC, le novice ayant trop souvent tendance à penser que les pistes possibles sont limitées et à ne pas prendre en compte des expériences et des analyses qui pourraient lui être précieuses.

Dans cet esprit de liaison entre recherches, expérimentations et terrain, j’évoquerai donc quelques exemples classiques du domaine que l’on nomme Alsic, Alao, Sticef, TIC(E)[2] pour en montrer plusieurs facettes.

3. La Toile et ses trésors

La recherche sur Internet est un des grands classiques de l’utilisation des TIC. On demande aux apprenants de faire des recherches dans des documents authentiques pour rédiger un dossier, préparer un exposé… L’attrait et l’intérêt sont évidents et le pédagogue aurait tort de se priver des atouts de la Toile. On se rappellera néanmoins que rechercher sans expérience de l’utilisation des moteurs de recherche par exemple peut être une tâche difficile sinon insurmontable. Une pédagogie de la documentation est indispensable. A l’inverse, si l’on donne aux apprenants la ou les adresses des sites qu’ils doivent consulter, on aura souvent adopté une attitude raisonnable mais on se gardera alors de penser que l’on a appris à ces mêmes apprenants à « naviguer sur Internet ». La différence est de taille et il serait dangereux de présupposer des acquisitions qui n’ont pu avoir lieu par le biais des tâches proposées.

4. La cyberquête

La cyberquête (webquest, enquête virtuelle…) est un exemple de recours aux documents de la Toile qui est tellement mis en avant aujourd’hui qu’il vaut que l’on s’y attarde.

Au départ l’approche est ambitieuse. L’inventeur de la cyberquête, Bernie Dodge, propose en 1995 une définition qui stipule qu’une webquest est une activité orientée vers la recherche, pendant laquelle tout ou partie des informations avec lesquelles les apprenants interagissent viennent d’Internet. Il précise que l’activité doit permettre à l’apprenant de trouver des informations nouvelles qui doivent faire sens pour lui. La tâche doit être intéressante pour l’apprenant, on doit lui décrire le processus qu’il doit suivre en en détaillant clairement les différentes étapes. Une forme d’accompagnement doit être prévue pour l’aider à organiser l’information recueillie (cartes conceptuelles ou diagrammes, par exemple). La cyberquête doit se terminer par une activité de synthèse de ce qui a été appris.

Plus récemment, à propos de ses expérimentations avec des élèves du primaire, Michèle Catroux (2003) considère que « la cyberenquête guide les élèves vers des ressources sur Internet afin de créer des productions authentiques et originales. Transdisciplinaire et transversale, elle sollicite la motivation, l’engagement des élèves, la pensée critique et nourrit la formation des compétences. En outre, elle favorise la pédagogie centrée sur la tâche en instaurant un travail de type collaboratif et ouvre la voie à l’autonomisation et à la construction individuelle des savoirs.« 

Sur Cyberquête (2004) on lit que « la Cyberquête est l’activité Web des activités Web ! Elle permet aux élèves de s’engager dans un processus créatif et intellectuel de haut niveau en les amenant à répondre à différentes consignes, dans un environnement stimulant où l’interdépendance devient la base du travail « .

L’idée généralement mise en avant par les spécialistes est que l’important n’est pas tant la recherche d’information par les apprenants que le traitement qu’ils font de cette information. Ils proposent des exemples où la tâche consiste en une analyse critique d’articles de presse, par exemple, pour aboutir à un dossier de presse ou à une simulation de débat radiophonique ou télévisé.

La cyberquête s’est beaucoup développée et de nombreux enseignants déclarent la pratiquer avec leurs élèves mais, comme souvent, au fil des usages se mettent en place des pratiques qui sont, de fait, fort éloignées des ambitions de départ. Ainsi, certains responsables de la formation d’enseignants constataient que « de nombreux collègues disent WebQuest en parlant d’un simple questionnaire à faire sur Internet et non d’une mission virtuelle » (Académie de Versailles).

On pourrait ranger dans cette catégorie de « simple questionnaire » les activités de La découverte de la Tour Eiffel. de F. Carrrouée et J. Wagner (nd). On y demande aux apprenants de visiter un seul site, le site officiel de la Tour Eiffel (d’ailleurs très bien fait et intéressant pour des apprenants de FLE). Les apprenants doivent y chercher la réponse à des questions comme celles-ci : « Quel est le métier de Gustave Eiffel ? Qu’est-ce que son entreprise a fabriqué ? Combien de fois a-t-on repeint la Tour ? Combien de tonnes de peintures sont nécessaires ? Combien de brosses faut-il ? En combien de temps une équipe de 25 personnes peut-elle entièrement repeindre la Tour Eiffel ?« . L’accent n’est pas particulièrement mis sur le traitement de l’information…

Un certain nombre des repères intermédiaires évoqués au paragraphe 2 permettent de classer, ou non, des activités pédagogiques dans les cyberquêtes telles que définies à l’origine. Rien n’empêche, évidemment, de trouver un certain intérêt à des formes de jeux plus ou moins anecdotiques, où l’on doit trouver sur un site la réponse à des questions, comme dans l’exemple de la Tour Eiffel, mais pourquoi tenir au terme de cyberquête lorsque l’on est si loin des pratiques de référence ? Il convient, en particulier, de s’interroger sur :

  • la recherche demandée aux apprenants, recherche totalement encadrée, tous les sites étant donnés, ou plus ou moins libre ;
  • le type de lecture attendu, lecture rapide pour trouver une information précise, lecture en profondeur pour trouver des informations à réutiliser pour un projet de construction d’un document ;
  • l’utilisation à faire de l’information trouvée, simple réponse à un questionnaire, traitement de l’information pour produire un document personnel ou de groupe, l’apprenant transforme l’information trouvée, il doit donc se l’approprier ;
  • le rôle de l’enseignant.

5. L’interculturel

Ce thème n’est pas lié uniquement aux TIC mais de toute évidence leur apport peut être de taille dès lors qu’il s’agit de faire venir vers les apprenants la culture du ou des pays dont ils apprennent la langue. Culture savante, culture anthropologique…, nombreux sont les niveaux envisageables. Dans l’esprit du présent texte, j’insisterai sur le fait que l’apport des TIC peut ne pas se limiter à de grands classiques (des stéréotypes ?) tels que la recherche et la consultation de documents en ligne sur les monuments de Paris ou la cuisine française et ses merveilles.

On voit depuis quelques années se développer un certain nombre d’expériences qui, pour une démarche interculturelle, tirent parti du potentiel des TIC comme outils de communication et de partage et non plus comme seules sources de documents préexistants. On met alors en contact des apprenants se trouvant dans des pays différents.

La démarche la plus souvent citée est celle de Cultura, qui met en liaison des étudiants apprenant le français aux USA avec des français apprenant l’anglais. Les étudiants échangent sur des thèmes communs et peuvent contraster leurs réactions respectives découvrant ainsi « la dimension cachée ce la culture » (voir G. Furstenberg, initiatrice du projet, 2003) plutôt que les aspects plus traditionnellement associés à ce concept. On leur demande, par exemple, ce qu’ils associent au mot « famille » ou à l’individualisme, ce qu’ils entendent par un « bon voisin », comment ils réagissent s’ils voient une mère gifler son enfant dans un supermarché. Il s’agit de « mieux comprendre le point de vue de l’autre et de construire une réelle compréhension de sa culture« .

Un autre exemple est Galanet (voir le site du même nom), qui travaille sur l’intercompréhension en langues romanes et met en contact des apprenants de plusieurs pays qui travaillent à distance dans plusieurs langues romanes simultanément pour construire un dossier de presse sur un thème qui relève de l’interculturel.

6. La création de petits exercices localement, en interne

Cette activité de création interne à une institution est fréquente depuis les premiers EAO (Enseignement Assisté par Ordinateur) des années 1970. On souhaite créer de « petits » (terme qui semble rassurer face aux TIC) exercices soi-même, de manière à travailler sur ses matériaux plutôt que sur des productions imposées de l’extérieur. On souhaite mieux s’adapter à son public propre tout en restant dans un cadre d’enseignement plus classique que les expériences évoquées aux paragraphes précédents. Que peut apporter ici un regard vers les chercheurs ou les spécialistes du domaine ? Il peut d’abord aider à percevoir que trop souvent le temps nécessaire à une réalisation adéquate même si elle reste modeste est énorme et bien au-delà de ce qui avait été d’abord annoncé ou espéré. L’artisanat ne pourra pas, par ailleurs, permettre de disposer de compétences en matière de graphisme, de vidéo… On se rappellera également qu’il est difficile de penser à la fois aux contraintes techniques, à la pédagogie et à la méthodologie, d’où bien des insuffisances didactiques et des dérives vers des formes d’activités « traditionnelles » peu pertinentes aujourd’hui. Cela dit, il est également bien difficile de trouver le produit « tout fait » adéquat. On ne peut donc que souhaiter bonne chance à ceux qui tiennent, après mûre réflexion, à se lancer dans l’aventure !

7. Le QCM incontournable

Les sollicitations avec choix fourni, QCM (Questionnements à Choix Multiple), appariements… sont aujourd’hui omniprésentes dans les produits pédagogiques. Il est, en effet, difficile d’envisager d’autres formes de sollicitation plus « ouvertes » et que le logiciel pourra contrôler. Cette constatation étant faite, il n’en reste pas moins dommage de voir à quel point le choix fourni est le plus souvent peu ou mal exploité. On semble assimiler tout QCM à un test par exemple. Or le test n’est pas incontournable. On peut, à l’aide de QCM, susciter une activité de haut niveau chez l’apprenant. Pourquoi ne pas l’utiliser dans des phases d’anticipation, avant le visionnement ou l’écoute ? Ces phases sont trop souvent absentes des activités de compréhension multimédia où l’on a tendance à passer directement à la vérification de la compréhension. Lorsque l’on construit un QCM, pourquoi ne pas focaliser plutôt l’attention de l’apprenant sur le sens global du message en le poussant à des opérations mentales de haut niveau que sur des points de détail qui ne sollicitent que la mémoire et non la compréhension et qui se limitent au bas niveau ? Le lien entre la réflexion didactique et les mises en œuvre reste ici souvent particulièrement décevant (voir Duchiron, 2005).

8. Les TIC pour la compréhension de l’oral

La compréhension de l’oral est un domaine privilégié pour un travail individuel sur support multimédia. Les apprenants l’apprécient tout autant que les enseignants. Il est, en effet, évident que le stress généré par un visionnement en groupe d’une vidéo, par exemple, est considérablement réduit lorsque l’apprenant peut contrôler le déroulement de la séquence. De plus, un certain nombre d’aides peuvent assez facilement être introduites sur un document multimédia (aides lexicales, sous-titrages…). Je ne reviendrai pas sur les QCM ni sur certains modes de contrôle de la compréhension. J’ajouterai ici qu’il est important de savoir parfois résister à certaines bonnes idées qui viennent d’emblée à l’esprit mais qui n’en sont peut-être pas, le sous-titrage par exemple. Il aide l’apprenant, lequel en souhaite d’ailleurs en général l’utiliser. Mais, si l’on pense important de s’entraîner à ne pas essayer de décoder mot à mot ce que l’on entend, n’est-il pas ennuyeux de sembler suggérer justement un passage par l’écrit pour pouvoir comprendre l’oral ? Une fois encore, il importe de bien peser le pour et le contre de ce que peuvent offrir les TIC et de faire des choix raisonnés qui iront parfois à l’encontre des premiers réflexes que l’on peut avoir.

9. TIC et expression orale

On parle beaucoup de l’affichage de courbes sonores devant permettre à l’apprenant de comparer sa production orale au « modèle » qu’on lui propose et de se corriger pour arriver à se rapprocher de cette courbe modèle. Les courbes sont un argument de vente de bien des commerciaux ; elles fascinent certains… Mais, ici encore, il y a un « mais » méthodologique. Les spécialistes de phonétique sont en général très sceptiques pour ne pas dire plus (voir A. Cazade, 1999). Leur opinion est parfois même sans appel quant à l’intérêt tant technique que pédagogique de certaines courbes. Toutes les courbes proposées n’enregistrent pas les éléments sonores les plus pertinents. Quant à la pédagogie de l’oral elle est souvent tout simplement ignorée, or ces courbes ne sont pas telles quelles d’une grande utilité pour le novice. Il faut apprendre à savoir en tirer parti.

Peut-on s’entraîner à l’expression orale à l’aide d’un logiciel pédagogique doté d’un système de reconnaissance de la parole ? Peut-on converser avec un ordinateur ? On le croirait presque en écoutant certains. On ne peut évidemment pas dépasser la lecture ou la répétition. L’apprenant peut construire une histoire en donnant, à différentes étapes, telle ou telle réponse mais il le fera à partir d’un choix fourni. On ne saurait parler de « conversation ».

Ici encore les potentialités des TIC sont évidentes mais on se trouve confronté à des discours ou des réalisations un peu rapides et pas toujours bien étayés.

10. Le laboratoire de langues multimédia

Le débat est souvent vif autour du laboratoire multimédia. Faut-il s’engager dans les investissements lourds qu’il implique ou préférer une solution de type espace langues ou centre de langues, souvent nettement moins coûteuse et plus flexible ? On ne s’interroge pas toujours autant qu’il conviendrait avant de remplacer un laboratoire de langues classique, on bascule vers les TIC sans bien les connaître et sans rassembler les informations et les réflexions opportunes. On ne se pose pas toujours la question d’autres pédagogies possibles grâce aux TIC. Pourtant, des exemples existent y compris dans le secondaire (voir D. Luchinacci, 1999, pour l’espagnol par exemple) et ont été décrits de manière convaincante. On peut, par exemple, proposer à une classe de travailler en plusieurs sous-groupes autour d’un thème culturel commun, certains exploreront des documents papier, d’autres des vidéos, d’autres des sites Internet. La multiplicité des sources est une richesse. On peut conclure de telles séquences par un dossier produit en commun ou par des débats dans une activité proche de la cyberquête. Il est parfois décevant de voir des sommes importantes investies dans des laboratoires équipés de matériels d’avant-garde et de logiciels coûteux qui, au final, ne sont que peu ou pas utilisés pour ce qui a motivé leur achat. Les équipements et les logiciels de laboratoire de langues multimédia et les stages de formation afférents sont un des points les moins glorieux de l’utilisation des TIC, en France en tout cas.

11. Le centre de langues

Ce lieu est parfois perçu comme un lieu de travail « en complément », pour le « libre service » ou l’autodidaxie (avouée ou non). Ces formules cachent trop souvent des tentatives peu fructueuses de laisser l’apprenant seul face à des ressources. Un centre de langues peut pourtant devenir le pivot de dispositifs qui réorganisent de manière positive les relations des apprenants à leur apprentissage ainsi que celles entre enseignants et apprenants. Là encore, un regard vers quelques références pertinentes sera important. On pensera en particulier à toute la réflexion sur les dispositifs d’autoformation guidée (voir ci-dessous et également B. Albero, 1999), avec le tutorat qui s’instaure entre apprenants et enseignants en parallèle avec de larges plages de travail individuel de l’apprenant à horaires flexibles.

12. Autoformation et ouverture

Ces deux termes sont souvent associés dans la FOAD (Formation Ouverte A Distance). On ne peut que constater que la force d’origine des deux termes est largement perdue dans la plupart des interprétations actuelles. Que l’on juge positivement, négativement ou de manière neutre ce glissement, il est utile de rappeler brièvement ce que furent au départ l’autoformation et l’ouverture.

En forme de retour aux sources, voici donc quelques citations de références (on se rappellera que l’autoformation n’avait aucun lien avec les TIC au départ, ni même avec les institutions éducatives d’ailleurs).

L’autoformation a d’abord été vue comme un comme refus de l’hétéroformation : « La formation de celui qui s’autoforme n’est pas dirigée par un autre. En ce sens, l’autoformation est l’inverse de l’hétéroformation. Dans un processus d’hétéroformation, l’élève n’est censé se former que dans la mesure où il se conforme aux intentions du maître. Il vise une forme, un modèle qui lui est prescrit de l’extérieur. L’autoformation, au contraire, est un processus finalisé, contrôlé, régulé par celui-là même qui se forme » (G. Bonvalot, 1995).

Le courant de l’autoformation éducative est ainsi décrit dans l’ouvrage de référence de P. Carré, A. Moisan et D. Poisson (1997 : 22). « L’autoformation ‘éducative’ recouvre l’ensemble des pratiques pédagogiques visant à développer et faciliter les apprentissages autonomes, dans le cadre d’institutions spécifiquement éducatives. (…) Le terme d’autoformation traduit ici une visée éducative, l’autonomisation des apprenants participant alors du projet pédagogique des formateurs« (…) « la décentration pédagogique caractéristique de l’autoformation et (…) la centration sur le sujet apprenant et son accompagnement par un formateur devenu facilitateur« . On pourra également consulter le site de l’association du groupe de recherche sur l’autoformation.

On voit que l’on est loin de l’acception actuelle la plus courante et d’un usage qui assimile à de l’autoformation tout travail individuel sur un ordinateur. Pourquoi ne dit-on pas d’apprenants à qui l’on demande de consulter des ouvrages en bibliothèque qu’ils sont « en autoformation » alors qu’on le dira assez systématiquement lorsqu’on leur demande exactement le même type de travail face à un ordinateur ?

Pour ce qui est de l’ouverture, le phénomène est similaire. Annie Jézégou (1998 : 56) souligne ceci à propos de la FOAD : « on se détourne du principe fondamental du concept de formations ouvertes, à savoir : les possibilités offertes à l’apprenant dans le choix et la négociation des différents aspects de sa formation. En conséquence, le qualificatif « ouvert », juxtaposé à celui de « distance », ne peut trouver sa raison d’être que dans la mesure où les modes d’organisation pédagogique permettent à l’individu de devenir « acteur » de sa formation.« 

Quand on observe la définition relativement technocratique de la Délégation à la Formation Professionnelle, « Par l’expression formations ouvertes, il est proposé d’entendre des actions de formation qui s’appuient, tout ou partie, sur des apprentissages non présentiels, en autoformation ou avec tutorat, à domicile, dans l’entreprise ou en centre de formation« , on voit que les concepts d’origine, qu’il s’agisse de l’autoformation ou de l’ouverture, sont largement oubliés.

Le novice sera confronté à ces mots forts dont la connotation ne peut que l’influencer et pour lesquels il n’aura souvent pas de définition ni d’exemples cohérents avec ce qui est suggéré par le terme. Pourquoi parler de formations ouvertes et d’autoformation si rien n’est vraiment ouvert en dehors de la distance (en ce cas l’étiquette formation à distance était suffisante, pourquoi suggérer un changement ?) et si l’autoformation n’est qu’un travail en solo proche de l’autodidaxie ?

13. La plate-forme de FAD pour un travail collaboratif

A l’heure de la F(O)AD et des campus numériques, les plates-formes de formation à distance sont de plus en plus utilisées. Elles sont souvent présentées comme des espaces de travail collaboratif et d’échange entre apprenants et entre apprenants et enseignants ou tuteurs. Des expériences réussies montrent bien leur potentiel, j’en ai évoqué quelques-unes ci-dessus. Mais, ici encore, il est important de prendre le temps d’examiner avec soin ce que l’on met en place et de le situer par rapport à quelques repères pertinents. Trop de forums d’échange restent désespérément vides, par exemple. La communauté commence à disposer de lignes directrices permettant d’exploiter les outils de FAD. Le travail collaboratif, l’échange sur un forum ne se décrètent pas, surtout quand apprenants et enseignants ont peu ou pas d’habitude de ces modes de travail. Il ne suffit pas d’installer l’outil pour qu’il se trouve exploité selon des principes collaboratifs ou socio constructivistes, par exemple, le contraire serait étonnant !

14. Le tutorat

L’usage de la FAD et des plates-formes a pour conséquence un développement important du tutorat, nouvelle fonction que doivent exercer les enseignants. Il faut savoir (re)lancer les échanges sur un forum, initier les synthèses nécessaires avant la clôture d’un thème, aider à la participation de chacun, réorienter les fils de discussion de manière à favoriser les apprentissages recherchés… L’habitude de parler doit devenir une habitude d’écouter, d’attendre. L’habitude de corriger, une attitude de mise en valeur de ce qui convient. Ici encore des repères existent suite à un certain nombre d’expériences et de travaux pionniers. Ils gagneraient à être plus systématiquement pris en compte

15. Construction d’un site par les apprenants

Apprendre en faisant est un principe pédagogique ancien. Il n’est pas surprenant que l’essor d’Internet lui ait donné une nouvelle vigueur dans la mesure où les outils de développement actuels sont suffisamment peu complexes à maîtriser. Un certain nombre d’enseignants ou de chercheurs montent des dispositifs dans lesquels les apprenants créent un site dans le cadre d’un travail collaboratif parfois mené entièrement à distance. Je relèverai deux exemples. Le premier concerne un apprentissage de langue à distance entre les USA et l’Italie avec pour objectif principal le développement de compétences interculturelles (B. Spinelli et R. Dolci, 2004). Les étudiants sont répartis en groupes de 5 ou 6 et travaillent ensemble à la création d’un site reflétant leurs représentations communes autour d’un sujet comme, par exemple, l’immigration, le système d’éducation, les rapports entre art et politique. L’environnement offert est, par ailleurs complexe : classe en présentiel, forums (liés ou non à la tâche, forum de métaréflexion ou forum plus informel), communication asynchrone par courriel ou synchrone par visioconférence. Des références théoriques sont convoquées et ont contribué à la mise en place de l’expérience et à son pilotage (en sociologie en particulier). Les échanges autour de l’objet à construire en commun (le site) permettent des prises de conscience et des apprentissages qui seraient impossibles, selon les auteurs, à partir des supports classiques.

Un autre exemple intéressant ici est celui d’Ethnokids, même s’il ne s’agit pas d’abord de langues étrangères au départ. Le site Ethnokids est un outil destiné à sensibiliser les enseignants et leurs élèves (écoles, collèges et lycées) à la diversité culturelle. Grâce aux fiches pédagogiques en ligne (ethnologie de la vie contemporaine) ou aux ateliers jeunes ethnologues, les « ethnokids » apprennent à observer et décrire leur vie quotidienne. Ils comprennent ainsi que leurs pratiques culturelles à la fois les différencient et en même temps les rassemblent. Depuis 2000, des classes du monde entier ont réalisé des milliers de documents ( textes, photos ou dessins) sur leurs quartiers, leurs écoles, leurs maisons, leurs familles, leurs repas, etc., prenant ainsi conscience de la diversité de leurs environnements naturels, sociaux ou culturels. Le site est animé par des ethnologues.

Ces deux exemples montrent à la fois le potentiel des TIC et l’importance de l’expertise et de la réflexion préalable pour se doter des meilleurs atouts de réussite. On arrive ainsi à mettre les aspects techniques à leur juste place et à se servir des TIC comme d’un levier pour des projets ambitieux. C’est dans le même esprit de que l’on envisagera la vogue actuelle des blocs-notes (blogs). Je renverrai à la partie « Blogs et enseignement » de Flenet (Mario Tomé, nd) pour plus de détails sur ce thème.

16. Conclusion

J’ai essayé, au travers de quelques exemples de suggérer l’importance de cet entre-deux que peuvent constituer la réflexion et la prise de recul sur les pratiques à partir de repères fournis par la recherche et les expérimentations pionnières. En formulant des repères et des propositions, le chercheur ou le formateur de formateurs peuvent aider à des mises en œuvre plus adéquates. En prenant l’habitude de s’appuyer sur ce type de repères et de créer les siens propres, le praticien pourra mieux éviter les dérives qui empêchent trop souvent le domaine Alao ou Alsic de donner la pleine mesure de son potentiel pédagogique. Ce bref parcours aura également pu suggérer la variété des champs concernés : didactique des langues, sciences de l’éducation, sciences de l’information et de la communication, EIAH (Environnements Informatiques d‘Apprentissage Humain). La variété des approches est tout aussi grande : recherche-action, recherche développement, recherche expérimentale, recherche de synthèse…

Références

Académie de Versailles. (nd). Site Langues @ Versailles. Consulté en juin 2006 : http://www.ac-versailles.fr/pedagogi/langues/dossier/webquest.htm

Albero, B. (1999). « L’autoformation des adultes en langues étrangères : interrelation entre les dispositfs et les apprenants. In Sarrazy, B. & Marchive, A. (ed.) 3ème Congrès International Actualité de la Recherche en Education et Formation. Bordeaux : AECSE. Disponible sur Edutice. Consulté en mars 2007 : http://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00000079/en/

Association du groupe de recherche sur l’autoformation (nd). Site de l’association. Consulté en mars 2007 : http://www.a-graf.org/

Bonvalot, G. (1995). « Pour une autoformation ‘permanente’ des adultes ». Education Permanente, n° 122. pp. 139-146.

Carré, P., Moisan, A. & Poisson, D. (1997). L’autoformation – Psychopédagogie, ingénierie, sociologie. Paris : PUF.

Carrrouée, F. & Wagner, J. (nd). La découverte de la Tour Eiffel. Site de Jürgen Wagner. Consulté en mars 2007 : http://www.wagner-juergen.de/franz/cyber.htm

Catroux, M. (2003). « La « cyberenquête » dans l’apprentissage de l’anglais à l’école primaire ». Colloque EIAH 2003.  Site des archives du colloque EIAH. Consulté en mars 2007 : http://archiveseiah.univ-lemans.fr/EIAH2003/Pdf_annexes/Catroux.pdf)

Cazade, A. (1999). « De l’usage des courbes sonores et autres supports graphiques pour aider l’apprenant en langues ». Apprentissage des langues et Systèmes d’information et de communication (Alsic), vol. 2, n° 2. pp. 3-32. https://journals.openedition.org/alsic/1623

Cyberquête (2004). Site de la cyberquête et autres activités Web, site de l’AQUOPS (Association Québécoise des utilisateurs de l’ordinateur au primaire-secondaire). Consulté en mars 2007 : http://xdep.aquops.qc.ca/cyberquete/guides/Popup/cyberQ.html

Dodge, B. (1995). « Some Thoughts About WebQuests ». The Webquest page. Site de l’université de San Diego. Consulté en mars 2007 : http://webquest.sdsu.edu/about_webquests.html

Duchiron, E. (2005). « Atouts, limites et exploitations potentielles du choix fourni dans les logiciels de langue ». Apprentissage des langues et Systèmes d’information et de communication (Alsic), vol. 8. pp. 5-17. https://journals.openedition.org/alsic/319

Etnokids (nd). Le site des ethnologues en herbe. Consulté en mars 2007 : http://www.ethnokids.net/

Furstenberg, G. (2003). Entretien avec RFI. Site de RFI, rubrique Langue française. Consulté en mars 2007 : http://www.rfi.fr/francais/languefr/articles/072/article_233.asp

Galanet, plateforme de formation à l’intercompréhension en langues romanes (nd).Consulté en mars 2007 : http://www.galanet.be/

Luchinacci, D. (1999). L’intégration des TIC dans la séquence pédagogique en espagnol : le concept d’espace langue ». Apprentissage des langues et Systèmes d’information et de communication (Alsic), vol. 2, n° 1. pp. 51-59. https://journals.openedition.org/alsic/1564

Spinelli, B. & et Dolci, R. (2004). « La gestion de la communication pluriculturelle ». Journée d’étude ENS-LSH « Formations en langues et Internet : quels aspects collaboratifs ? ». Consulté en mars 2007 : http://www.inrp.fr/rencontres/seminaires/2004/praxis/Lyon2004_B.ppt

Tomé, M. (nd) « Blogs et enseignement ». Site Flenet. Consulté en mars 2007 :

http://flenet.rediris.es/blog/carnetweb.html

[1] Je reprends ici largement le texte d’un exposé fait à Rennes en 2005 lors de la Journée d’étude « Autoformation guidée en langues : nouvelles stratégies » de l’équipe de recherche Lidile, axe Dilem (didactique des langues étrangères et multimédia), université Rennes 2. Les références bibliographiques sont volontairement limitées en raison du format spécifique tant de l’exposé de départ que de sa présente version et renvoient principalement à des documents accessibles en ligne.

[2] Alsic pour Apprentissage des Langues et Systèmes d’Information et de Communication, voir la revue en ligne du même nom (https://journals.openedition.org/alsic/) ; Alao pour Apprentissage des Langues Assisté par Ordinateur ; Sticef pour Sciences et Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Education et la Formation, voir la revue en ligne du même nom (http://sticef.univ-lemans.fr/) ; TIC(E) Technologies de l’Information et de la Communication (pour l’Education, Educatives, pour l’Enseignement, les déclinaisons varient).