Quels réseaux sémantiques s’activent pour l’usage académique du terme « appliqué » ? Quel est le périmètre d’une linguistique dite « appliquée » ? Quelles sont les connotations auxquelles renvoie ce terme ? Aucune réponse à ces questions ne peut être produite sans historicisation du terme « appliqué » et des débats épistémologiques qui l’ont accompagnée. A ce titre, l’impulsion de la linguistique appliquée en France dans les années 1950 est le produit d’une situation complexe, qui peut être analysée en termes de politique linguistique, de politique académique ou encore de développement technique (Coste, 1987, Chevalier & Encrevé, 2006).
Une analyse strictement structurelle, effectuée du point de vue des institutions, révèle les liens entre une demande politique visant la diffusion du français et l’essor de la linguistique appliquée. En effet, l’ouverture d’une commission pour le français à l’UNESCO, suite aux travaux visant l’outillage linguistique des populations des pays nouvellement indépendants, donne l’impulsion au Service Universitaire des Relations avec l’Etranger (André Marie et Marcel Abraham au Ministère de l’Education Nationale) pour le financement des premiers travaux de Georges Gougenheim sur le français élémentaire. L’accueil à l’Ecole Normale Supérieure de St Cloud par René Vettier du Centre pour l’étude du français élémentaire (1952), débouchant sur la mise en place du Centre de Recherche et d’Etudes pour la Diffusion du Français (CREDIF-1959) signe l’installation durable de ce type d’étude dans le paysage para-académique.
Mais la fondation de l’AFLA est en grande partie portée par Guy Capelle, qui après avoir produit un rapport critique suite à une mission d’expertise pour le CREDIF au Mexique est chargé par Roger Seydoux à la Direction Générale des Affaires Culturelles et Techniques (au Ministère des Affaires Etrangères) de la fondation du Bureau d’Etudes et de Liaison (1959). Les contacts construits par Capelle mettent le BEL en lien avec les développements de la linguistique appliquée anglo-saxonne (notamment par le biais du Center for Applied linguistics, dirigé par Charles Ferguson). Les rencontres menées en 1961 et 1963 en lien avec le BEL (le colloque du CIEP en 1961, la réunion de Stockholm en 1963) vont permettre au projet d’Association Française de Linguistique Appliquée de voir le jour, sous la direction de Culioli, pour qui, selon Jean-Claude Chevalier, « il n’est de linguistique qu’appliquée » (1984 : p.119). Or la fondation de l’AFLA et de l’AILA à Nancy en 1964 comprend des universitaires traitant de questions diverses (Carton, 2015) et ne se limite pas aux questions d’enseignement-apprentissage.
D’un point de vue national, cette fondation indique deux directions pour la linguistique appliquée : un courant d’études tourné plutôt vers les questions d’enseignement-apprentissage du français, et un second courant incluant d’autres thématiques émergentes comme la coopération européenne ou la traduction mécanique (Miras, Boulton, Kübler & Narcy-Combes, 2018). Ces deux directions contiennent en germe une partie des débats qui verra, dans les années 1980, s’opposer ces deux courants (Coste & Galisson, 1976). On peut poser l’hypothèse que le tournant chomskien en linguistique d’une part, et les avancées de la sociodidactique d’autre part, ont contribué à éloigner épistémologiquement les tenants de chacun des pôles, aboutissant à la création d’une association dédiée aux questions d’enseignement-apprentissage des langues : l’ACEDLE (1989). Seule l’histoire de ces débats permet de comprendre la charge sémantique contenue actuellement sous le terme « linguistique appliquée ». Toutefois, il est nécessaire de comprendre la fondation de l’AFLA dans un mouvement international faisant émerger la pertinence d’études concernant la linguistique appliquée (Linn, Candel & Léon, 2011).
Cette journée sur l’histoire de l’AFLA s’inscrit dans un projet plus vaste visant à comprendre l’évolution de la linguistique appliquée et de la didactique des langues de 1945 à nos jours. L’objectif de cette première journée est d’explorer l’histoire de l’AFLA afin d’étudier les évolutions du terme « linguistique appliquée » depuis les archives de cette association.
Indications bibliographiques
Carton, F. (2015). « Quand naissait l’AFLA : témoignage ». in Carton, F. Narcy-Combes, M.-F., Narcy-Combes, J.P. & Toffoli, D. Cultures de recherche en linguistique appliquée. Riveneuve éditions : Paris.
Chevalier, J.C. (1984). « Linguistique appliquée et linguistique tout court », in Coste. D. (dir). Aspects d’une politique de diffusion du français langue étrangère depuis 1945. Matériaux pour une histoire. Hatier : Paris.
Chevalier, J.C. & Encrevé, P. (2006). Combats pour la linguistique, de Martinet à Kristeva. ENS Editions : Paris.
Coste D., Galisson, R. (1976). Dictionnaire de didactique des langues. Hachette : Paris.
Coste, D. (1987). Institution du français langue étrangère et implications de la linguistique appliquée. Contribution à l’étude des relations entre linguistique et didactique des langues de 1945 à 1975. Thèse d’Etat, Université Paris VIII : Vincennes.
Miras, G., Boulton, A., Kübler, N., & Narcy-Combes, J.-P. (2018). « Association française de linguistique appliquée (AFLA) ». European Journal of Applied Linguistics, 6(2), 315–326.
Linn, Candel & Léon (2011). « Présentation : Linguistique appliquée et disciplinarisation. ». Histoire Épistémologie Langage 33/I.
Programme
9h30-10h : ouverture de la journée (Julien Longhi, Anissa Hamza-Jamann, Alice Burrows)
10h-11h : atelier archives : vers une définition du terme de linguistique appliquée
Lecture guidée et discussion autour de documents définissant les intentionnalités de fondation. Les lectures sont mises en lien avec les frises chronologiques donnant le contexte politique de l’époque.
11h-11h15- pause-café
11h15-12h15 : table-ronde 1 : vous avez dit « appliquée » ? Danielle Candel, Anne Condamines, Grégory Miras, Julien Longhi
12h15-14h- pause déjeuner
14h-15h : atelier archives : linguistique appliquée et questions sociales
Lecture guidée et discussion autour de documents éclairant le découpage disciplinaire de l’association. Les lectures sont mises en lien avec les frises chronologiques donnant le contexte politique de l’époque.
15h-16h : table-ronde 2 : les champs émergents de la linguistique appliquée. Anissa Hamza-Jamann, Arnaud Richard, Louis Maritaud
16h-16h30 : conclusion et perspectives bureau de l’AFLA